Grand Est partout, Alsace nulle part : le 16 janvier 2015 rentrait en vigueur la loi relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral. Son effet ? Redécouper les régions. Son objectif ? Réduire les coûts et améliorer l’efficacité. Cette annonce avait fait beaucoup de bruit en Alsace – très attachée à son identité – alors que de l’autre côté de l’Hexagone, d’irréductibles amateurs de Kouign Amann étaient restés indivisibles. Sauf que, le 24 septembre dernier, la Cour des comptes a publié la deuxième partie de son rapport annuel sur les finances publiques locales. En constatant que les économies promises ne sont pas toujours dues. Et qu’en plus, le Grand Est fait office de cancre. On t’en dit un peu plus.
La Cour des comptes ? Il dit qu’il voit pas le rapport
Commençons par quelques infos positives. Ce rapport de la Cour des comptes porte sur la situation financière des régions. Le premier fascicule, publié en juin 2019, soulignait la bonne santé financière des collectivités locales, caractérisée par un excédent financier de 2,3 milliards d’euros en 2018 (+0,7 milliard par rapport à 2017). Le deuxième fascicule, publié en septembre 2019, décrit un contexte financier qui devrait rester favorable aux collectivités locales.
Plusieurs facteurs expliquent cette bonne santé financière. Tout d’abord, la progression des concours de l’État. Après quatre années de baisse entre 2014 et 2018, ces financements devraient atteindre 48,27 milliards d’euros fin 2019 (contre 48,1 en 2018). Ensuite, les transferts financiers augmentent de près de 4,2 milliards d’euros , ce qui est dû principalement à l’accroissement des contreparties de dégrèvements – décharges d’impôt accordées à un contribuable, ndlr – qui viennent compenser la suppression progressive de la taxe d’habitation.
Enfin, le dynamisme de la fiscalité directe locale : les produits des impôts locaux directs sur les ménages et les entreprises devraient progresser de 2,7 milliards d’euros, en raison d’un contexte économique favorable et de la revalorisation forfaitaire des valeurs locatives cadastrales (+2,2%) – la revalorisation annuelle des valeurs de l’immobilier pour tenir compte de l’appréciation des prix, ndlr.
Tout ce jargon pour simplement dire : financièrement, les collectivités locales sont plutôt à l’aise. Petit souci cependant, leurs dépenses vont continuer à augmenter.
Un Grand Est très dépensier
Si le fait de passer de 22 régions à 13 aurait dû permettre une réduction des coûts, c’est pour l’instant le contraire qui se produit, selon le deuxième fascicule du rapport de la Cour des comptes. Les collectivités prévoient un nouvel accroissement de leurs dépenses d’investissement en 2019 (+14,4% par rapport à 2018) et une reprise de la progression des dépenses de fonctionnement (de l’ordre de 2,1% pour le bloc communal et les départements et de 3,1% en moyenne pour les régions).
Là-dedans, le Grand Est fait quelque peu office de mauvais élève. Tout d’abord, elle est la région où les indemnités des agents a le plus progressé, à hauteur de 28.3% entre 2017 et 2018. La raison ? Elle ne va sans doute pas plaire aux Alsaciens. Pour ne frustrer personne, les présidents de Région ont aligné les indemnités sur le régime le plus favorable de rémunération des anciennes régions. Dans le cas du Grand Est, c’était la Lorraine.
S’agissant des indemnités des membres des conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (CESER), l’effet du changement de strate démographique a été en partie compensé par la réduction du nombre de membres. Pour le Grand Est, on est passé de 253 à 180 membres. En moyenne cependant, les indemnités des membres des CESER ont augmenté de 4,2 % dans les régions fusionnées entre 2015 et 2018, contre 1,1 % dans les autres.
En général par ailleurs, les régions non fusionnées ont vu leurs dépenses d’investissement diminuer entre 2015 et 2018, contrairement aux régions fusionnées. A se demander quelle solution était la bonne…
Une hausse de la masse salariale et de la capacité globale de désendettement pour le Grand Est
Certaines régions fusionnées, qui avaient affiché des objectifs volontaristes en matière de maîtrise de la masse salariale, voient pourtant cette dernière croître de manière significative. C’est le cas dans la région Grand Est, où l’objectif de stabilisation de la masse salariale, constaté en 2016 (+ 0,5 %) et 2017 (+ 2,1 %), n’aura pas été atteint en 2018 en raison de la croissance des effectifs et de la mise en place du régime indemnitaire harmonisé.
Malgré la hausse de l’encours de dette, la capacité globale de désendettement des régions a diminué, de 5,2 années en 2015 à 4,9 en 2018, grâce à la progression de leur épargne. Six régions sont pourtant en 2018 dans une situation moins favorable que la moyenne. Vous l’aurez deviné, le Grand Est en fait partie (5,7 années).
Une mobilité chéros et mal négociée
Toujours dans ce même besoin de ne frustrer personne, il n’y a pas réellement eu de mobilité géographique, ce qui provoque encore des doublons de poste. Là-dessus néanmoins, il faut apporter la nuance que les départs à la retraite – qui ne seront pas remplacés – que la masse salariale diminuera peut-être.
Néanmoins, il est nécessaire d’appuyer sur le fait que ce qui était redouté s’est produit : les déplacements, plus longs désormais, coûtent un bras. Puisque des services sont maintenus un peu partout en Alsace, Lorraine et en Champagne-Ardenne, c’est le flou artistique quant à une improbable rationalisation géographique. Il n’y a qu’à voir l’ineptie de la gare Lorraine TGV, coincée entre deux villes au milieu de nulle part, pour s’en convaincre.
C’est par ailleurs noté par le rapport de la Cour des comptes que cette fusion a « généré le plus souvent un éparpillement ou une duplication des différentes directions et services dans chacune des anciennes capitales de région » en citant les exemples du Grand Est ou encore des Hauts-de-France. On est loin de l’efficience prévue.
(Sur)coût total de l’opération ? 16 millions d’euros entre 2016 et 2021. Le Grand Est est particulièrement évocateur, notamment en Alsace où cette réforme des régions avait fait grincer plus d’une molaire. Les coûts ont augmenté, le flou artistique s’est développé et l’efficacité est retournée se coucher.
Néanmoins, on se place encore relativement sur du court-moyen-terme. A voir dans quelques années si cette réforme portera les effets escomptés. Donc rendez-vous dans dix ans, où cette fois-ci, plus d’excuses ne seront possibles.
De l’inutilité de rajouter un étage à la pyramide, alors que la construction d’une région Rhénane franco-allemande, logique vu les économies et l’histoire commune, aurait été plus avantageuse. Quel retard !