Suite à la publication de l’article, un droit de réponse de Paul Meyer, adjoint au maire de Strasbourg, a été ajouté en bas de ce dernier.
Il y a peu de temps, Paul Meyer a déclaré « vouloir rendre l’eau aux Strasbourgeois ». Si la phrase n’est que pure communication institutionnelle, elle a néanmoins eu le mérite de soulever à mes yeux le monopole de Batorama sur les eaux strasbourgeoises – eaux que la Mairie souhaite désormais ouvrir à la concurrence. Sous l’article dédié à ce sujet, plusieurs commentaires ont pointé du doigt l’existence de Bateaux de l’Ill, une société qui se bat pour accéder à l’eau strasbourgeoise dans les mêmes conditions. Son fondateur, Quentin Monnier, a contacté Pokaa pour répondre à cette annonce de la part de l’élu strasbourgeois. Témoignage.
Quelques mots sur Bateaux de l’Ill
Si vous ne savez pas qui sont Bateaux de l’Ill, c’est une entreprise gérée par Quentin Monnier et qui propose des croisières sur les eaux strasbourgeoises, pour vous faire découvrir le centre historique de Strasbourg, la Petite France, le quartier européen et d’autres endroits encore. Vous pouvez retrouver Bateaux de l’Ill sur le ponton rue du Général Picquart, en face des bâtiments en brique rouge de l’EPIDE et de l’ancienne Légion Etrangère.
Dès lors, Bateaux de l’Ill semble proposer les mêmes prestations que Batorama, avec le côté événementiel en plus. Pourtant ils n’ont pas les mêmes accès que Batorama, et notamment au niveau de l’embarcation côté ponton des Rohans, auquel la société n’a pas accès. Mêmes prestations, sinon plus, mais pas mêmes opportunités. Pourquoi ?
Le contexte
En plus de ces premiers questionnements, voici un petit rappel pour bien comprendre le contexte qui existe concernant nos eaux strasbourgeoises :
- Les Voies navigables de France gèrent les eaux strasbourgeoises. Le Port Autonome de Strasbourg exploite ces mêmes eaux.
- En 2013, l’organisme territorial de VNF et le Port Autonome avaient le même directeur.
- Le Port Autonome de Strasbourg a comme organe tutélaire la mairie de Strasbourg. La présidente de son Conseil d’administration est Catherine Trautmann, ancienne maire de Strasbourg.
- L’Eurométropole de Strasbourg et les Voies Navigables de France ont signé une charte commune, pour la période 2017-2020.
- Paul Meyer a récemment déclaré vouloir « rendre l’eau aux Strasbourgeois » en ouvrant à la concurrence les voies d’eau strasbourgeoises, remettant en cause le monopole de Batorama, en place depuis plus de 60 ans.
La parole est à Quentin Monnier
Note de l’auteur : Je n’ai rien retouché sur les paroles de Quentin Monnier. Déjà parce que c’est un choix que je fais à chaque fois que j’interviewe quelqu’un et surtout parce que c’est son droit de réponse. En aucun cas, je n’ai à influencer ses paroles.
Racontez-moi l’histoire de votre entreprise et votre combat pour accéder à l’eau strasbourgeoise :
« On a mis un an à obtenir l’autorisation de naviguer au centre-ville de Strasbourg, alors que le délai légal c’est deux mois. L’eau c’est comme une route, l’usage devrait être ouvert à tous. On a mis 3 ans à accéder à l’écluse dans des conditions normales, c’est-à-dire à n’importe quel moment de la journée ; et encore, par la suite, des passages nous ont été refusés. C’est une lutte, au jour le jour. Ce qui est malheureux c’est que ce sont des organes publics qui nous mettent des bâtons dans les roues, puisque ce sont les Voies Navigables de France (VNF) qui gèrent la voie d’eau, c’est le Port Autonome de Strasbourg (PAS) qui exploite la voie d‘eau.
Quand on a commencé à faire les démarches, le Directeur du Port Autonome était aussi le Directeur Territorial de VNF donc c’est lui qui donnait les autorisations, c’est lui qui exploitait la voie d’eau et l’organe de tutelle du Port, c’est la Mairie. Donc tout cela, c’est très imbriqué et c’est assez compliqué de euh (cherche ses mots) de s’imposer face à l’Etat, dans une petite ville comme Strasbourg, surtout que nous on est une TPE. Ça fait huit ans qu’on essaye de se battre, pour avoir le droit de naviguer, de passer l’écluse, de pouvoir naviguer au centre-ville. Aujourd’hui, ça fait 60 ans que Batorama est en situation de monopole, ça fait 60 ans qu’ils font plus ou moins la même prestation. Strasbourg c’est la seule ville de France où il y a de l’eau partout et c’est la seule ville de France où il n’y a pas de bateaux-restaurants. C’est forcément une volonté de la mairie, du port Autonome, de VNF de défendre une seule société. Et la situation n’est pas normale : la Direction de la Concurrence est intervenue à plusieurs reprises parce que la situation n’est pas normale. Elle réintervient maintenant et la personne en charge de cet organisme nous a dit « bah je pensais que le problème était réglé » quand ils étaient intervenus en 2015/2016 et avaient trouvé ça malheureux d’avoir à réintervenir sur le sujet. »
« Après 2015, c’était encore fictif puisque l’administration s’est retranchée derrière plein de choses et c’est devenu réalité en 2016 finalement. On peut donc accéder à cette écluse depuis ce moment-là ; maintenant on demande à accéder au Ponton des Rohans depuis 2013. En 2013, les VNF ont renouvelé pour 10 ans la convention d’occupation du port, sans rien nous dire, sans rien nous demander, sans nous avertir. Donc là ils se retranchent derrière le fait qu’à l’époque, légalement, on était pas obligé de faire un appel à projets. N’empêche, donner une infrastructure essentielle à un seul opérateur et ils en privent les autres et on en aboutit à la situation dans laquelle on est actuellement, c’est-à-dire une situation de monopole et une ville sans bateaux-restaurants, alors que Strasbourg s’y prête parfaitement. »
Existe-t-il une concurrence à Batorama ?
« Y a que nous. On est les seuls à avoir tenu assez longtemps pour s’installer. Moi j’ai racheté le bateau – le Charles Frey, ndlr – à des personnes qui ont essayé pendant un an et qui ont craqué. Ils ont laissé le bateau à l’abandon et ils sont repartis. »
Est-ce qu’il y a eu une couverture médiatique de cette situation de monopole et de votre combat ? Et si oui, est-ce que ça a fait réagir les élus ?
« Y a eu un article au début dans Rue89 – en 2013, ndlr – et également un dans les DNA. Ça a fait du bruit, parce que Rue89 c’est lu par des jeunes et tout ça, mais les DNA c’était en quatrième page à l’arrière. Pour le coup, ça se voit beaucoup. C’était au même moment où j’avais envoyé des courriers à tous les hommes politiques de la Région et tout. Malheureusement avec très peu de retours. Mais par contre, je pense que quand les décideurs ont vu que tout le monde était au courant, ils savaient qu’ils ne pouvaient plus continuer comme ça ad vitam aeternam. »
Aujourd’hui, en 2019, quelle est la situation de votre entreprise ?
« On a une jolie TPE, j’ai un capitaine à temps-plein saisonnier, des extras et tout ça. On a trois bateaux, un seul où on est en concurrence avec Batorama mais c’est notre bateau phare ; c’est lui qui fait 80% ou 90% de notre chiffre d’affaires. Il tourne relativement bien, je suis content des prestations qu’on propose mais par contre on reste bloqué à faire que de l’événementiel ou du groupe, mais on ne peut pas toucher les individuels. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, en embarquant au Quai des Pêcheurs ou ici, en périphérie du centre-ville, on ne peut pas toucher la clientèle touristique qu’on pourrait toucher si on était aux Rohan.
Aujourd’hui, l’activité événementiel elle est bien, elle est chouette, elle se développe bien à Strasbourg, je pense qu’on commence à acquérir une certaine notoriété d’un des lieux les plus sympas et originaux pour faire un anniversaire ou un mariage ou un repas d’entreprises. Mais par contre on touche pas la clientèle individuelle. On fait trois/quatre croisières restaurants, mais pas plus parce que c’est trop compliqué d’organiser ça, de là où l’on est. »
Avez-vous d’autres projets en cours pour développer votre activité ?
« Un truc que je comprends pas : en face du bateau, ça fait trois ans que je demande de faire un minigolf. Y en a pas à Strasbourg, je suis dans un quartier très familial, l’herbe est très mal entretenue, avec un mini-golf moi j’entretiens la partie de terrain : je vais niveler, mettre des fleurs, faire un truc joli et ce sera nickel. Là y a des trous partout, les chiens font leurs besoins. ‘Fin voilà, et eux – la Mairie, ndlr – disent non, et je sais même pas pourquoi.
Les élus sont censés représenter les citoyens et si vous leur demandiez aux habitants du quartier, je pense pas qu’ils vous diront « ah non, surtout pas un minigolf ! ». Le premier est à Molsheim, ce serait vachement bien un minigolf à Strasbourg. Et pourtant c’est non : si ça vient pas d’eux, si l’idée n’est pas amenée par la Mairie, s’ils peuvent pas communiquer dessus, eh ben la réponse est non, et c’est malheureux. Je suis pas sûr que ce soit représentatif. »
Pour en revenir à Batorama, ne proposent-ils pas d’activités autre que des visites de Strasbourg ?
« Quand les clients sont obligés de venir chez vous parce qu’ils n’ont pas le choix, on s’embête pas à faire des prestations culinaires où y a de la perte, où c’est plus compliqué, où faut embaucher du personnel culinaire, où il faut gérer d’autres types de salariés que du personnel navigant, on le fait pas. Dans ce cas, on fait bateau-mouche ; de toute façon les gens sont obligés d’aller chez Batorama. Donc eux ils sont tranquilles : ils font un million de résultats, huit millions et demi de chiffre d’affaire. Pourquoi ils s’embêteraient à faire autre chose ?
Et c’est pour ça qu’il y a des lois contre les monopoles et la concurrence parce que, s’il y avait de la concurrence au centre-ville, que l’on essaye d’apporter, peut-être qu’ils proposeraient aussi autre chose. Vous pouvez aller voir sur leur site, en 1957 ils ont acheté le bateau que l’on exploite aujourd’hui – le Charles Frey, ndlr – avec lequel ils ont commencé à faire du transport fluvial de passagers. Et depuis, soixante ans ont passé, ils ont changé leur bateaux, qui se sont modernisés mais la prestation c’est la même. Si on était pas en situation de monopole on n’en serait pas là, il y aurait beaucoup plus de diversité. »
Le plus important pour la fin, on en vient au sujet du monopole : qu’est-ce que vous pensez de l’annonce Paul Meyer d’un probable fin de monopole pour Batorama ?
« Alors moi, ça pourrait paraître positif mais en fait moi ça m’a inquiété. Parce que cet élu-là – Paul Meyer, ndlr – et les autres élus de la Mairie n’ont jamais répondu à mes courriers, à mes demandes. Catherine Trautmann est présidente du Port Autonome de Strasbourg – directrice du Conseil d’Administration qui dirige le Port Autonome, ndlr – vice-présidente de la CUS en charge du développement économique, donc naturellement je lui ai écrit quand j’ai ouvert, elle m’a jamais répondu, elle m’a jamais reçu. Paul Meyer, d’où vient l’article, je lui ai écrit à quatre reprises, pour un autre sujet de développement et le sujet de la concurrence : il ne m’a jamais répondu. Aujourd’hui y a un article qui sort [sur Pokaa] dans lequel on ne parle que de Batorama comme s’il n’y avait personne d’autre, alors que nous on est là, que Paul Meyer connaît notre existence puisque l’on s’est déjà rencontrés.
Et moi ça m’inquiète : en 2016, Marin d’eau douce est venu démarcher la Mairie pour installer des bateaux électriques : Monsieur Paul Meyer a beaucoup communiqué dans la presse en disant « Moi j’aimerais bien qu’il y ait des bateaux électriques », mais sans dire qu’ils avaient été démarchés. En 2017, y a eu un appel à projets, Marin d’eau douce a été choisi et ils ont développé leur activité. Moi aujourd’hui quand je vois que Paul Meyer ne répond pas à mes courriers, que Catherine Trautmann ne répond pas à mes courriers et qu’en général ils ne répondent à aucune de nos demandes concernant aucun des sujets pour lesquels on essaye de les faire intervenir. Qu’ils parlent dans la presse comme si on existait pas et qu’ils disent qu’ils veulent changer la situation, eh bah moi (cherche ses mots) ben j’ai peur pour ma TPE.
Parce que j’ai peur qu’ils aient déjà choisi quelqu’un d’autre, qu’en fait ils se sont déjà arrangés entre eux, et qu’ils aient prévu qu’il y ait Batorama et un autre qu’ils ont déjà choisi et que la concurrence ne va à nouveau pas jouer à son plein. Parce que bah nous on est là et ça fait 6 ans qu’on demande d’accéder, qu’on fait des prestations qui sont top qualité, on a que des retours hyper positifs et pourtant on continue de nous mettre des bâtons dans les roues et on a l’impression de pas exister. Donc moi je suis super inquiet, je vous ai contacté parce que je suis inquiet pour ma TPE et son avenir. »
C’est donc un Quentin Monnier inquiet du futur de son entreprise qui a réagi à la probable fin du monopole de Batorama sur les eaux strasbourgeoises. Il met l’accent sur le caractère très communicant des élus les plus jeunes de la mairie de Strasbourg, qui jugent la valeur des combats au nombre de réactions sur les réseaux sociaux. Parfaitement dans leur temps. Pour Bateaux de l’Ill, j’espère que l’inquiétude de Quentin Monnier ne sera pas auto-réalisatrice et que la concurrence puisse se faire librement sur les eaux strasbourgeoises. Je sais, je suis un optimiste.
Mais surtout, on peut se demander si le monopole sur l’eau strasbourgeoise n’est qu’un exemple parmi d’autres. Et s’il ne s’arrête pas à cet aspect, évidemment essentiel, de la vie strasbourgeoise, où s’arrête-t-il donc ? La restauration strasbourgeoise, les bars et les cafés ne sont-ils pas en situation, non pas de monopoles, mais d’oligopole ? Se dirige-t-on vers de plus en plus d’entre-soi, pour satisfaire les intérêts du peu ? Ou alors sommes-nous déjà en situation de monopole ou d’oligopole et qu’on ne s’en rend pas compte. Quoiqu’il en soit, il est bon de se poser ce genre de questions. Parce que ses situations sont rarement favorables à beaucoup de gens.
Réponse de Paul Meyer :
« vouloir rendre l’eau aux Strasbourgeois ». Cela n’a jamais été un simple effet d’annonce mais une volonté suivie par des projets ayant été déjà réalisés dans ce sens : en effet, depuis seulement 2 ans, l’Ill reprend vie pour les Strasbourgeois avec des projets comme le ponton flottant, la location de bateaux électriques, l’organisation d’évènements comme la nage en eaux libres, les joutes nautiques ou le Vogalonga. De nombreux autres projets liés à l’eau sont également en cours avec un soutien de la municipalité.
Pour M. Monnier, la situation ne s’est pas encore améliorée mais l’ouverture des voies maritimes se passe progressivement et de mieux en mieux, surtout que Strasbourg revient de loin. Des bateaux-restaurants et l’embarcadère du Palais Rohan accessible pour tous ? La Mairie fait son possible pour aller dans cette direction de manière positive.
Pour finir, l’avenir des vois maritimes de l’hyper-centre strasbourgeois devra aussi se faire sans motorisation gazole. Les enjeux sanitaires doivent aussi exister sur l’eau pour l’ensemble des acteurs, Batorama compris.
Bonjour M. Meyer,
Batorama communique depuis plusieurs années sur sa volonté de passer ses bateaux aux moteurs GPL. Ils en ont les moyens avec les bénéfices engrangés les dernières années du fait de sa situation monopolistique. Nous avons également réalisés de gros investissements cette année et avons changé notre moteur ; malheureusement notre bateau n’était pas adaptable à un moteur GPL ou Electrique. Nous avons cependant un moteur neuf moins polluant. L’an dernier en effectuant environ 140 croisières nous n’avons pas consommé plus de gasoil qu’une voiture sur une année.
La dernière phrase de votre commentaire est-elle un moyen détourné de laisser accès à la voie d’eau uniquement à certains types d’opérateurs ?
Cordialement,
Quentin
Bonjour,
Vu de l’extérieur, le potentiel de développement des voies navigables restent important. Et les possibilités d’accostage (MAMCS, André Malraux, Orangerie, Quai du maire Dietrich,…) et de circuit nombreux (direction la Wantzenau, étang Gerig, Port du Rhin….)
Que des freins existent pour des raisons de sécurtié (quoique vu le niveau de sécurité des nouveaux pontons du Quai des Bateliers !) ou d’absence d’infrastructures peut durer un temps. Mais si la volonté est déviter la concurrence, Strasbourg se trouvera dans la même position qu’à l’aéroport d’Entzheim avec le monopole d’Air France: une sous exploitation des équipements, des emplois dans les cartons, et des revenus pouvant servir au developpement du transport (éco-)urbain. Et pourquoi pas une ligne entre l’hyper-centre et André Marlaux, voire Kehl/ Jardin des 2 Rives pour le tourisme à tendance shopping? Les idées sont présnetes. Aux acteurs de se mettre d’accord.
Salutations,
Bonjour,
Il aura fallu un article sur Pokaa pour que l’adjoint au maire se donne la peine à répondre à monsieur Monnier. C’est pitoyable. C’est dire comme la mairie de Strasbourg est proche de ses concitoyens.