Bartenders, DJ, serveurs, cuisiniers, plongeurs, physio, pompiers, danseurs…ils se réveillent quand vous sortez du boulot, rejoindre cette incroyable machine qu’est la nuit, et quand vient l’aube ils rejoignent leurs lits. Ils enfilent leurs tabliers, leurs uniformes, quand vous boutonnez vos chemises et fermez vos escarpins, ils sont les acteurs de vos gueules de bois de demain.
Peux tu te présenter en quelques mots et nous raconter ton parcours ?
Je m’appelle Phillipe Friess, je travaille dans le spectacle depuis 20 ans. J’ai fait un BTS en commerce international, et parallèlement je bossais la nuit, dans des bars comme le Carré Blanc, le Magasin ou encore le K ou le Warning. J’ai commencé à bosser dans des petits bars, puis des plus importants, et enfin des grosses boîtes, au début comme barman, et j’ai évolué jusqu’au poste de directeur d’exploitation . J’ai commencé plus tard dans le milieu du spectacle par l’intermédiaire de la Got Milk, qui était pendant 7 ans le plus gros festival indoor de France. C’était un gros événement techno au RHENUS, on faisait entre 10 et 12000 personnes. C’est suite à cette expérience que je suis rentré chez Music Machine, ou j’ai bossé pendant 16 ans, d’abord comme administrateur puis directeur de production. Enfin, j’ai monté ma société, Music Line Production il y a 5 ans.
Ça consiste en quoi ton boulot?
J’ai plusieurs casquettes. Quand un artiste part en tournée en France, son producteur travaille avec des producteurs et promoteurs locaux dans chaque région de France. Nous notre boulot, c’est d’accueillir les artistes, de louer les salles, de mettre en place la billetterie, puis de gérer les régisseurs, le personnel, la communication autour de l’événement pour faire en sorte qu’il y ait le maximum de monde lors du spectacle.
Et il y a mon travail de producteur/manager pour des groupes
que je développe en national et pays francophones ( Spirit Of Ireland / Time To tramp/…)
Donc, vous êtes garant autant du bon déroulement de la représentation, que de la réussite en terme de fréquentation ?
C’est ça ! En fait, notre travail permet une bonne communication autour du spectacle. Logiquement, si on travaille bien, il y a du monde. Après, en ce moment c’est un peu plus compliqué. Il y a beaucoup plus d’artistes qui tournent car ils vendent moins de disques, du coup les spectacles sont leurs seuls moyens de gagner de l’argent. Mais parallèlement, les gens n’ont pas plus d’argent, ça implique qu’ils doivent faire des choix, et forcément il y a des spectacles qui fonctionnent moins que d’autres. Cependant cela nous fait plus de dates mais aussi plus de risques.
Comment tu en es arrivé à faire ce métier ?
C’est pas un métier qu’on fait par hasard. Ça doit faire partie de toi, c’est un truc que tu sens. Moi, je sais que je suis plus à l’aise pour mettre les gens en avant, pour permettre à des artistes d’évoluer sur scène. Mon truc, c’est le back office, toute la gestion…Je suis l’homme de l’ombre qui permet aux autres de briller.
Il y a des périodes creuses parfois ?
Il y a des saisonnalités qui sont importantes, c’est à dire qu’en été, beaucoup d’artistes font des festivals, les gens n’ont plus l’habitude d’aller dans les salles comme le Zenith ou le PMC. Il faut aussi éviter les périodes de vacances où il ne se passe rien. Donc effectivement, sur 12 mois, on a 6 mois où potentiellement on peut travailler.
Ça implique pas mal de déplacements
Avec Music Line production, je rayonne dans l’est de la France, ça va de Lille jusqu’à Belfort, en passant par Troyes, Nancy, Amneville, Mulhouse, et j’en passe. Et je me déplace dès qu’il y a un concert. En parallèle à ça, j’ai aussi des artistes comme Time to Tramp ou Spirit of Ireland, dont je m’occupe dans l’ensemble de la France, la Suisse et la Belgique. Je termine une série de Best Of Floyd et des dates avec Laurent Voulzy, entres autres.
Qu’est ce que cela implique ce rythme dans ta vie sociale et privée?
Je viens de la nuit, du coup c’est une continuité normale, j’ai juste décalé un peu mes horaires. Après, je vois tellement de monde tout le temps, que quand je rentre à la maison j’apprécie être tranquille.
Qu’est ce qui te plaît dans la nuit ?
Les gens, la magie de la nuit. Les gens qui sortent tout le temps la nuit, c’est des gens qui potentiellement ne sont pas bien chez eux, et ça fait aussi partie de notre travail de les accueillir, de leur changer les idées. Sans faire de la psychologie de comptoir, le côté magique de la nuit, c’est aussi ça. Les gens se transforment, sont plus joviaux, plus faciles, plus sociables, ça fait partie de cet univers.
C’est quoi le type d’événements que tu produis ?
C’est des concerts, essentiellement tout ce qui est rock, variété et comique. C’est du spectacle vivant. J’ai la volonté de ne pas rester dans un type de spectacle. Si un jour les gens se lassent, je ne veux pas me retrouver enfermé dans une niche qui ne fonctionne plus.
Tu te spécialises quand même dans certains genre, pourquoi ?
C’est des milieux que je maîtrise. Souvent, un producteur a plusieurs artistes du même type, et moi je suis en relation avec ces derniers. Des boites comme Music Line Production, en France il doit y en avoir une trentaine, donc tout le monde se connait, et chacun a ses spécialités et s’occupe d’une partie de la France, disons.
Après, je ne suis fermé à rien, s’il y a des choses qui fonctionnent, je suis toujours prêt à y penser, mais pour l’instant je préfère construire les choses plutôt que de vouloir être partout et mal les faire
Pour quels artistes as tu déjà travaillé ? Ça c’est toujours bien passé ?
Oui, dans 95 % des cas ça se passe toujours très bien. Souvent, les artistes sont beaucoup plus sympas que les gens autour d’eux. Niveau grands personnages, j’ai fait Johnny Halliday, Henri Salvador, Beyonce, Bieber, Sardou, U2 à la Meinau, les Pink Floyd…
Face à quelles difficultés on peut se retrouver dans ta profession ?
Les problèmes face auxquels on se retrouve le plus souvent, c’est le manque de personnes dans la salle. Parfois, ce n’est pas de notre faute, mais si suite à un quelconque événement extérieur, on est contraint d’annuler un spectacle ou une tournée, c’est moi qui assume les pertes.
C’est quoi les compétences d’un bon producteur ?
Il faut arriver a être synthétique dans son travail, être aussi bon dans l’humain que dans l’administratif, il faut être sérieux, à l’écoute, et arriver à anticiper. Je dis souvent que mon boulot, c’est de prévoir l’imprévisible. Là ou il n’y a pas de problèmes, il faut que j’arrive à anticiper qu’il puisse y en avoir un. Quand on prévoit un spectacle, c’est environ un an à l’avance, donc le jour J, 99% de mon boulot est déjà fait. S’il se passe quelque chose le jour J, tu as le temps de le régler si tu as bien fait ton boulot avant.
C’est quoi le parcours à suivre pour faire ce boulot ?
Maintenant, il y a des écoles et pas mal de formation au niveau de la DRAC autour des métiers du spectacle, aussi bien en technique qu’en administratif. Mais la plupart de ceux qui font ce métier aujourd’hui se sont retrouvé là dedans par hasard, et on appris sur le tar, beaucoup étaient colleurs d’affiches au départ. Aujourd’hui ça se professionnalise parce que beaucoup veulent faire ce métier, mais peu arrivent au bout car c’est très dur de trouver sa place, c’est une niche assez fermée.
C’est quoi le projet dont tu es le plus fier, tes meilleurs souvenirs ?
J’ai d’excellents souvenirs de la Got Milk que j’évoquais avant. Pink Floyd, U2 aussi à la Meinau qui étaient incroyables.
Un projet qui n’est pas de toi et que tu aurais aimé réaliser ou un artiste avec qui tu rêverais de travailler ?
Il y en a plein, mais comme j’ai encore l’espoir qu’un jour ça arrive chez moi, je préfère me taire (rires).
Tu fais quoi de ton temps libre ? Tu en profites pour te reposer ou tu es un incorruptible oiseau de nuit ?
Je sors encore pas mal, mais pas pour voir du monde j’en vois déjà énormément dans mon boulot, du coup j’en profite pour passer du temps dans les endroits que j’affectionne, des établissements de la Krutenau en général. J’aime bien le Luxembourg aussi, les nuits y sont vraiment sympas.
Tu penses quoi de la nuit à Strasbourg en 2019 ?
Elle évolue sans cesse depuis trente ans. C’est important de vivre avec sont temps.Toutes les personnes qu’on a connues à l’époque sont entrain de râler, se plaignent qu’on ne fait jamais rien pour eux, mais en général ce sont des gens qui ont 40 ans, qui sortent une fois par moi, on ne peut pas transformer la nuit pour eux. Ceux qui remplissent les clubs, ce sont les jeunes, et c’est autour de ce public là qu’il faut monter des opérations, qu’il faut créer une ambiance. Les plus jeunes ont l’air de s’amuser au moins aussi bien que nous à l’époque, il faut accepter l’évolution des choses.