Si vous êtes étudiant, nul doute que vous connaissez la Boutique Culture, cette toute petite boutique qui fait face à la cathédrale et dans laquelle vous trouverez des renseignements sur tous les événements culturels dans l’Eurométropole. Mais ce n’est pas pour ses services que je vous y invite aujourd’hui, mais bien pour un petit trésor qui se cache à l’étage, à l’abri des regards : un cycle peint datant du XVIe siècle.
Certains le savent sûrement, d’autres (les vieux quoi) s’en souviennent même peut-être : jusqu’en 2000, le bâtiment abritait encore la plus ancienne pharmacie d’Europe, la pharmacie du Cerf, dont on trouve trace dans les archives dès 1268 avec l’officine d’Henri Philippi ! (bien que le bâtiment actuel date des XVe et XVIe siècles). L’enseigne inaugura même la tradition strasbourgeoise de donner des noms d’animaux aux pharmacies.
De nombreux apothicaires s’y sont succédé au long des siècles, notamment la famille Spielmann (entre 1678 et 1848) qui était l’une des familles les plus savantes de la ville. Jacob Reinbold Spielmann fut notamment un illustre professeur de chimie, de botanique et de médecine alors même qu’il continua à diriger la pharmacie. D’ailleurs, Goethe assista à ses cours dans la petite pièce que je vais justement vous présenter.
La chambre des secrets
Car, trêve de parlote, tendez-moi la main et franchissons le porche de cette petite porte qui côtoie l’enseigne d’un marchand de glace.
Un somptueux escalier en bois nous mène donc au premier étage, dans une toute petite chambre avec vue privilégiée sur le portail de la cathédrale. Outre sa vue, cette chambre surprend parce que ses murs sont couverts d’une frise peinte en grisaille et sanguine qui dateraient de la seconde moitié du XVIe siècle. Certes, le temps a fait son travail d’usure (détérioration et obscurcissement par endroits) mais on y reconnaît une succession de scènes plus ou moins faciles à décrypter. En fait, celles-ci illustrent toutes le psaume premier de David, issu de la Bible, dont les versets sont reproduits en latin sous chacune d’entre elles, en caractères gothiques d’un côté de la pièce et en caractères romains de l’autre.
Pour vous donner une idée de ce qu’on peut y contempler : il y a notamment une représentation de plusieurs commandements : le sixième « tu ne tueras point » est figuré par un personnage qui transperce un homme au sol de sa lance, tandis qu’au second plan des voleurs emportent leur butin hors d’une maison, illustrant ainsi le huitième commandement « tu ne voleras point ». Enfin dans la même scène, on aperçoit aussi un homme agenouillé devant une statue d’idole à cornes qui met en image le deuxième commandement : « tu n’auras pas d’autre Dieu que moi ».
On peut aussi apercevoir en fin de cycle quelques belles scènes de supplices : décapitation, pendaison, supplice de la roue tandis que non loin sont représentés des cochons, un bouc et des diables ailés. Toutes ces figures annoncent le Jugement dernier qui est représenté tout à la fin avec la belle gueule béante de l’Enfer. Tout un programme !
Une tapisserie qui a “frisé” la catastrophe
Cette « tapisserie » était en fait un excellent moyen de ne pas oublier qu’il n’y avait que deux voies qui s’offraient à l’homme à l’époque : celle de l’obéissance à la loi de Dieu qui mène vers le Salut et celle de son refus qui mène à la corruption. Chers lecteurs, vous êtes prévenus !
Terminons le tour de la pièce par une anecdote amusante mais dommageable pour la frise : au XVIIIe siècle, le propriétaire a fait percer une porte au centre du mur droit afin de relier cette pièce à la pièce d’à côté. Une scène a donc disparu, un peu comme si un gosse avait sorti ses beaux ciseaux pour découper dans votre plus beau livre d’images.
Enfin, la pièce étant plutôt basse, impossible de manquer le beau plafond en stuc qui date de la fin du XVIIe siècle. On peut y contempler quatre belles figures allégoriques féminines qui représentent la Foi, l’Église, la Charité et la Prospérité. Leur blancheur immaculée tranche un peu avec l’aspect sombre de la frise mais accentue encore un peu le mystère de la pièce. D’un point de vue historique, et non plus seulement artistique, la valeur de cette pièce tient en ce qu’elle est un des rares exemples de peinture à thème religieux dans un appartement privé à cette époque.
Une boutique qui a du “cachet”
Pour être tout à fait complet, disons aussi un mot sur les quelques beaux restes visibles dans la Boutique Culture elle-même. Si vous ne vous y êtes pas encore rendu, n’oubliez pas de lever la tête quand ça sera le cas, car le plafond avec ses voûtes à ogives ornées de branchages vaut le coup d’œil, tout comme les quelques peintures de style médiévalisant sur les murs (seulement peintes en 1904 par Léo Schnug qui peignit la même année les salles de la maison Kammerzell).
Toute la beauté du bâtiment ne réside pas qu’en son intérieur. En effet, outre son encorbellement typique, la façade extérieure recèle également de belles ornementations, notamment des reptiles fabuleux autour des baies.
Enfin impossible de ne pas parler du « Buchmesser », cette colonne en gré datant de 1567 bien visible à l’angle de la boutique. Qui n’a pas rejoué la fameuse scène qui a donné son nom au pilier de « mesureur de ventre » ? Il paraît en effet que l’espace permettait de mesurer l’embonpoint des membres du conseil de la ville ! De quoi vous faire hésiter à reprendre deux fois de la choucroute avant de sortir d’un winstub voisin !
Sources :
merci à la guide lors des journées du patrimoine ainsi qu’à la documentation fournie par la boutique.
FLORIAN CROUVEZIER
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