Figure incontournable du monde de la boxe, le Strasbourgeois de 43 ans est le premier Français à avoir obtenu 10 titres de champion du monde dans quatre catégories « pieds-poings ». On l’a rencontré quelques jours avant la soirée Ultimate Muaythaï – K1 Rules, qui s’est déroulée le 16 novembre à guichets fermés à la Rotonde. Portrait d’un bourreau de travail, qui aime la compétition et qui a à coeur de transmettre son expérience.
C’est un combat d’arrêter le temps. « T’as 10 minutes de retard », nous lance Steeve Valente, en pointant du doigt l’horloge qui surplombe la salle d’entraînement de l’Académie européenne des sports, à Hautepierre. C’est dans cette salle que le Strasbourgeois entraîne ses combattants au kick-boxing, au muay thaï, et donne des cours de cardio-boxe depuis plus d’un an.
Son temps est précieux et il n’a pas le temps de le perdre. D’ailleurs, lorsqu’on l’a contacté pour une interview, on a tout de suite précisé qu’une petite heure était suffisante. Une petite heure à caler dans l’agenda de ministre du boxeur, entraîneur, père de famille, devenu aussi, depuis quelques années, promoteur de combats. Ce matin de début novembre, il sortait tout juste d’un entraînement avec deux de ses champions. L’heure d’après, il enchaînait avec un cours. Steeve est un homme pressé, précis, actif, réactif, qui admet tourner un peu trop au café depuis quelques semaines.
Le 16 novembre, la soirée Ultimate Muay Thaï – K1 Rules a fait trembler les murs de l’arène de la Rotonde. Dix combats au cours desquels les meilleurs alsaciens ont affronté « l’élite internationale », lance Steeve. Pendant quatre mois, presque cinq, il n’a pas lâché son téléphone et a été sur tous les fronts : trouver des sponsors, assurer des partenariats, communiquer sur les réseaux sociaux tout en poursuivant la préparation de ses jeunes poulains.
Une telle soirée se chiffre à environ 160 000 euros. De la sueur, des coups, de la ténacité et du spectacle. Sur ce point, le pari de Steeve de fidéliser le public a été tenu : cette septième édition, comme les précédentes, s’est déroulée à guichets fermés. Le kif ultime : un triplé gagnant avec les victoires indiscutables d’Ilias Krafi et de Christopher Walter, qui ont conservé leur titre européen. De son côté, le jeune Alik Canavy est allé chercher la ceinture intercontinentale WKN.
Transmission, valeurs et respect
En 2015, lors de la première édition de l’Ultimate, Steeve était encore combattant. Il montait sur le ring pour disputer son dernier combat, le 106e de sa carrière. Face à lui : le triple champion du monde de boxe thaïlandaise Armin Pumpanmuang.
Ce soir-là, le Français tirait sa révérence avec une dixième ceinture de champion du monde autour de la taille. Conclusion d’une carrière construite sur la volonté, les entraînements réguliers, la détermination, et le goût pour la compétition. Il suffit de jeter un coup d’oeil à son palmarès : Steeve sera à jamais le premier Français à avoir obtenu 10 titres de champion du monde dans quatre catégories « pieds-poings » différentes. Un exploit.
Il y a neuf ans, il avait imaginé son dernier combat comme « une passation de pouvoir » avec la jeune génération. « C’était à eux de prendre le relais », explique celui qui est depuis devenu coach sportif et dont l’un des talents est aussi de repérer de futures pépites. Ça tombe bien, la « Pépite », est l’un des surnoms d’Akram Hamidi, multiple champion du monde en kick-boxing, champion du monde de muay thaï, champion d’Europe de kick-boxing… La liste est longue pour le Strasbourgeois de 25 ans, entraîné par Steeve depuis de nombreuses années.
Aujourd’hui, c’est un lien quasi familial, basé entre autres sur la confiance, qui lie les deux hommes. « C’est pour des petits jeunes comme lui que j’ai arrêté ma carrière. Avec comme objectif de former un athlète plus fort que moi », explique-t-il. Pour lui, la boxe est avant tout un sport « basé sur les relations humaines ». « Tu peux pas coacher un mec qui s’en fout. Je m’en tape d’avoir un champion qui arrache tout, si ce n’est pas une bonne personne », tranche le coach. Il préfère s’occuper de personnes « déterminées », « toujours à l’heure ». Il donne l’exemple d’Ilias Krafi. « Tous les jours, il vient de Mulhouse pour prendre tes conseils, ton expérience. Comment veux-tu ne pas donner de ton temps pour une personne comme ça ? »
Une vie entière construite autour du sport
Le soir de son dernier combat, Steeve, fils unique d’un couple originaire de Guarda, à l’est du Portugal, avait rendu hommage à sa mère. « Elle n’a jamais voulu que je fasse de la boxe », raconte Steeve. Pendant des années, le boxeur va lui cacher ses blessures et ses points de suture. « J’attendais que ça cicatrise pour aller la voir. Pour pas lui faire du mal », avoue-t-il. À l’école, celui qui parle couramment portugais et espagnol, se révèle être plus intéressé par le sport que par les études.
Petit, il s’essaie d’abord au foot : « J’ai vite compris que c’était pas pour moi. J’avais deux pieds gauches », se marre-t-il. Puis, un passage par le judo. Mais c’est dans la boxe que la précision de ses poings, et plus tard de ses fameux pieds, va faire mouche. Il est initié par son père, garagiste et lui-même boxeur avec quelques combats à son actif. Une initiation « dans le dur, à l’ancienne », se rappelle Steeve. Sa vocation était trouvée. « Mon père m’a demandé de ralentir par rapport à la boxe, mais moi, j’étais lancé. Pour me punir de mes mauvaises notes, il me privait d’entraînement. » À 13 ans, puni, il demande à sa mère, qui travaillait très tôt à l’usine, de le réveiller à 5h du matin, pendant que son père dormait. En douce, il allait courir, pour ne pas perdre le rythme.
Et cette maman qui n’a jamais voulu qu’il boxe, s’est ainsi transformée en tendre complice de son fils. « J’allais courir, et après j’allais au collège », lâche le Strasbourgeois. Au fond, on ne comprend pas qui est Steeve Valente, si on ne comprend pas cette anecdote. Il se définit comme « un sportif dans l’âme ». « Moi, dans ma tête, je ne pense qu’à ça et je ne vis qu’à travers ça. Si je ne rentre pas dans un mode compétitif, ça ne m’intéresse pas. Je suis là pour le challenge », affirme-t-il.
À 18 ans, il fait le voyage en solo en Thaïlande pour s’entraîner, sans parler un mot d’anglais. À l’époque, il venait tout juste de passer pro. « J’ai vu tous ces gars taper au sac comme des fous. À la minute de récupération, tout le monde s’est mis au sol pour faire des pompes. J’ai posé mon sac. Je me suis assis, et j’ai juste observé la scène. J’ai beaucoup appris sur place », retrace celui qui indique que ce voyage a changé quelque chose dans sa vie. Une vie entière construite autour du sport.
Je n’ai pas appris ce sport dans les bouquins. Je l’ai appris sur le ring et dans la vie de tous les jours.
Et dans des disciplines où les primes financières étaient moins importantes qu’aujourd’hui, le boxeur a parfois complété ses revenus par des jobs alimentaires : « Un peu à l’usine, un peu en animation, un peu en livraison. » Avec un critère : « Il fallait que les horaires correspondent à mes entraînements. Je préférais être en galère que de ne pas boxer. »
Faire face au temps
Il le reconnaît, sans le soutien d’Hanae, son épouse, il n’aurait jamais pu construire une telle carrière. « Elle a élevé nos enfants. Elle m’a toujours soutenu et m’a beaucoup apporté. »
Papa de deux filles de 18 et 13 ans, il leur a, comme son père avant lui, transmis les valeurs du sport. Quand elle était toute petite, Camélia, sa fille aînée, avait pour habitude d’accompagner son père avant qu’il ne monte sur le ring. Le boxeur mime la scène : « Dans les vestiaires, elle menaçait ceux qui faisaient trop de bruit et risquaient de me déconcentrer. » Aujourd’hui, ses filles font de la boxe mais le coach conserve une distance prudente dans leur formation : « C’est très compliqué émotionnellement. J’ai pu avoir des mots durs envers elles… »
J'ai été un jeune papa. J'avais besoin de cette famille pour être focus sur mes objectifs.
Avec le temps, il se considère meilleur boxeur aujourd’hui que pendant sa période active : « Le recul fait qu’on comprend mieux le sport. On ne construit pas une carrière sur un seul combat. Une carrière se bâtit sur 15 ou 20 ans. » Mais quand on a connu le haut niveau toute sa vie, pas facile d’accepter les limites d’un corps qui change. Pour conjurer le sort, il conserve une discipline de fer en démarrant chacune de ses journées par un entraînement.
À la maison, sa femme et ses filles le taquinent volontiers sur le régime alimentaire qu’il s’impose. Depuis toujours, il veille à être présentable et soigne son image. Accepte-t-il de vieillir ? Il sourit : « Difficilement. » Au fond, il sait que le temps est le seul adversaire qu’on ne combat pas.
Rédactrice : Ophélie Gobinet