Vous avez déjà voulu donner du sens à vos achats ? Ne pas juste consommer pour consommer, faire profiter les grandes multinationales qui font de l’évasion fiscale, enrichir les spéculateurs de la finance etc. Vous voulez que votre thune serve directement aux commerçants/producteurs/créateurs autour de vous ? Genre, qu’elle circule dans l’économie locale et qu’elle en sorte le moins possible ? Sur Strasbourg, c’est possible, grâce à une association qui propose une monnaie locale : le Stück.
Stück ça veut dire bout, une unité, une pièce de quelque chose dans la langue de l’outre-Rhin. L’objectif de cette monnaie est au croisement de la démocratie participative, de l’écologie, du lien social et de l’éducation populaire. Vous payez avec des trucs, que ça soit un bout de papier quoique ce soit d’autre. Vous lui accordez une certaine valeur, celle que les autres lui accordent. Le but du Stück c’est de reprendre conscience de comment marche la monnaie, de ne pas juste payer sans comprendre les mécanismes derrière. L’argent ne transite pas juste de mon compte à mon portemonnaie et de mon portefeuille au commerçant etc. Le Stück veut déconstruire les mécanismes auxquels on nous conforme depuis tout petit, pour se réapproprier le sens derrière tout ça, notamment en agissant pour garder la monnaie dans l’économie locale.
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J’ai essayé de voir si je pouvais passer toute une journée en ne payant qu’avec des Stücks. Le problème avec les monnaies locales, c’est que souvent c’est galère, ça prend du temps et on a l’impression qu’on ne peut pas tout faire avec et que ça sert à rien. Là pour le coup, c’était plus facile qu’il n’y paraît.
Première étape : adhérer au Stück.
Là, plusieurs options s’offre à moi. Premièrement, l’adhésion en ligne. Facile mais je ne pourrais pas échanger tout de suite mes euros. Il faut attendre l’arrivée de sa carte d’adhérent. Autre option, trouver un bureau de change. Pour ce faire, je regarde sur le site. Il y’en a un à deux pas de chez moi sur la dizaine sur l’Eurométropole. Manque de bol, c’est le seul réservé au personnel de l’Unistra. Tristesse du test.
Par contre, je découvre qu’ils ont une application pour tout trouver en Stück. Je télécharge, mais je ne m’attends pas à quelque chose de génial. L’association est récente, la monnaie en circulation depuis 2015 seulement… obligé l’appli est gadget ou baclée, non ? Elle est fluide, propre et intuitive. Je découvre toute la diversité de l’offre Stück. Alimentation, culture, artisanat, services … Il n’y a pas encore beaucoup de tout, mais indéniablement il y a du choix. Je filtre sur l’appli pour voir les bureaux de change pour adhérer. Ok, il est un peu tôt pour boire des coups à la K’fet des Sciences. Par contre j’ai un petit creux et la matinée s’allonge. Tant qu’à faire dans la BA citoyenne, autant le faire jusqu’au bout, alors mon point de départ sera la Biocoop.
A l’intérieur, assez roots mais des produits classiques comme complètement excentriques. Le gérant à la caisse prend son temps pour faire mon adhésion et m’expliquer sa démarche malgré les clients. Je signe, je donne 5€ de participation libre pour faire vivre l’association et je reçois ma carte d’adhérent. J’en profite pour faire mon premier échange euro-stück. Je donne 50€ histoire d’avoir une belle palette de couleur dans mon portefeuille (billets de 20, 10, 5, 2 et 1). En 10 minutes, c’est bon, je me sens comme un héros ordinaire qui participe au mieux vivre ensemble. Maintenant faut claquer les biftons. Je tombe sur le Holypop, un soda bio aux plantes alpines macérées dans l’alcool. Je vous mets au défi de trouver une boisson moins écolo-bobo-hipstero-panierd’osier. Tenté par l’expérience de cette boisson sortie tout droit de l’imaginaire de Cécile Duflot, je prends. Et avec une bouteille de limonade bio. « 3,15 s’il vous plaît » Tout fier, je sors mes 3 Stücks. Ah, problème, les centimes. « Euuuh on fait comment ? » « Donnez-moi 15cents ou rajoutez un Stück et je vous rends la différence. » Aussi simple que ça.
Trop tard pour le petit dej’. Je descends mon soda étrange (avec une épiphanie gustative au passage) et je cherche un endroit où je peux bien manger. Je ressors l’appli. Clairement, je ne sais pas quoi choisir. Dans les 500m aux alentours, on me propose 5-6 restaurateurs. Allez, le Mandala, j’ai un rendez-vous prévu là-bas le soir-même. Arrivé à leur espace fastfood, il fait chaud mais j’me prends un burger maison du futur en terrasse. Saumon grillé, sauce avocat, frites patates douces… mmmmmmh. Et un thé noir glacé vietnamien dont je ne peux même pas lire le nom. Décidément c’est la journée des boissons bizarres. Petit café frappé pour finir, bien installé dans un espace canapé assez zen. Le restaurant est bien décoré. Je découvre un espace sieste à l’étage. Parfait pour digérer en sérénité. Je repars avec 15 Stücks en moins, mais le ventre rempli, reposé et d’attaque pour découvrir le vrai potentiel du Stück.
Un éventail de services
En galère de clopes, je suis obligé de retirer des Euros pour payer au tabac. Déception, le mythe s’écroule. Mais en cherchant sur l’appli je découvre plein de lieux qui pourraient m’être utile et des activités pas communes. Réparateur d’ordinateur, de vélo, cordonnier, coiffeur, stand d’aviron, théâtre… même une agence de communication et des graphistes ! Le plus marquant, c’est le nombre de psychologues, kinés et de services bien-être/développement personnel aux noms lunaires (hypnose humaniste, réflexologie plantaire, traditions amérindiennes, étiopathie, thérapie corporelle, Shiatsu, soins énergétiques…). A croire que les utilisateurs du Stück sont tous névrosés de Babylone ? Bien dans ma peau, un peu fauché (votre serviteur se sacrifie pour cette expérience) et dubitatif sur l’efficacité de certaines de ces pratiques, je ne me laisse pas tenter.
Par contre, il me faut de la lecture. Je passe devant la librairie Kléber, elle prend les Stücks (c’est même un bureau de change), mais je veux une boutique plus atypique. Quelques mètres plus loin je trouve la boutique Oxfam. Je dois être l’homme le plus chanceux de la Terre, c’est leur journée TOUT A 50%. Leurs prix de base sont déjà bien bas, vu que leurs produits sont exclusivement des dons. Livres, habits, vinyles, dvds, déco, bijoux… Pas mal de choix. Je pars sur des livres, je m’en sors pour 20 Stücks. Une bonne action pour l’association et une bonne affaire pour moi. 5 livres : Un gros reportage photo vaut à lui seul 20€, avec lui, une grosse enquête de Christophe Deloire sur les cercles d’influences et coulisses politiques, valeur marchande 21,50€. Je prends aussi un essai de Bourdieu pour pouvoir me la raconter en soirée à dire « Relire Bourdieu » et deux classiques que je n’ai pas eu la chance de lire au lycée.
Pour finir la journée, je cherche des fringues, c’est le début des soldes. Malheureusement, il n’y a que deux boutiques sur l’appli. Je fonce vers Fibres et Formes pour me choper un pull éthique en chanvre. Il ne me reste pas assez de Stücks. La vendeuse, en bonne commerçante, me dit qu’il n’y a aucun souci et que je peux compléter par carte. Parfait pour la fin de mon test, moins parfait pour mon portefeuille.
Bilan
Malgré mon échec pour le paquet de clopes, j’ai pu payer toutes mes achats du jour tout en me faisant plaisir. Par contre, pour plein d’éléments essentiels de la vie de tous les jours ou des choses plus administratives et professionnelle, c’est rarement possible pour l’instant. Le fait de devoir passer par un bureau de change complique aussi la donne, au vu de leurs horaires d’ouvertures et du nombre actuel.
Tout compte fait, le Stück a quand même réussi à implanter un réseau de professionnels qui travaillent ensemble en circuit court et avec une monnaie qui ne quitte pas le territoire local et surtout qui reste non-spéculative. Son fonctionnement a bien évolué depuis sa création et l’association redouble d’efforts pour faire avancer ce projet. Leur offre ne cesse de grandir. A voir jusqu’où cette « monnaie locale complémentaire citoyenne » (une des 5000 dans le monde) peut asseoir sa place pour dynamiser notre économie locale?
Pour en savoir plus, n’hésitez pas à regarder leur site et leur page facebook.
Photos et texte par Martin Lelièvre