Dans l’accueillante clarté de son atelier, juste assez éloigné de l’agitation du centre-ville, Stéphane Linder redonne vie à des objets anciens, parfois à la valeur inestimable. Restaurateur et artisan doreur, il est l’un des rares défenseurs de ce métier plusieurs fois centenaire, dont notre patrimoine a tant besoin. On l’a rencontré, en plein travail, afin qu’il nous explique les rouages de cette profession aussi exigeante que vectrice de grandes émotions.
Nous sommes quelque part au Neudorf, dans l’arrière-cour d’un immeuble à la façade tout ce qu’il y a de plus banale. Lorsque l’on passe la porte, et que l’on se faufile entre les vélos des habitant(e)s des lieux, on découvre un petit coin de verdure et un atelier attenant.
Cet atelier, c’est celui de Stéphane, un jeune artisan dont la profession a traversé les âges : il est artiste doreur et artisan restaurateur de métier.
Son truc à lui ? Restaurer et redonner de l’éclat à du mobilier, des cadres anciens, des statuettes, des reliques, des miroirs ou à des objets qui ont subi les affres du temps.
Pour y arriver, il réalise des dizaines d’étapes d’analyse de l’objet. Il gratte, il retire, il moule, il assemble, il colle, il sèche, puis, enfin, il y applique délicatement des feuilles d’or, et c’est pour lui un moment hors du temps.
Aussi légères que le vent, ces feuilles sont déposées à la main, centimètre par centimètre, sans un souffle, avec une dextérité d’archer à l’aide d’outils qui semblent, eux aussi, sortir d’une autre époque.
Des techniques presque inchangées depuis 400 ans
Contrairement à la plupart des métiers, même artisanaux, celui d’artisan doreur n’a pas beaucoup évolué au fil du temps. Il reste ancré dans des traditions et s’apprend d’apprenti(e)s en apprenti(e)s, de secrets d’ateliers en secrets d’atelier, pratiquement sans l’aide de la technologie moderne.
Pour Stéphane, qui a commencé ses études par une formation en électrotechnique, le métier de doreur n’a pas tout de suite été une évidence, mais il a grandi dans un terreau artistique qui a peut-être fait la différence :
« Plus jeune, mes parents m’ont toujours emmené dans des musées, j’ai très vite développé une curiosité artistique et un attrait pour les beaux objets. Selon moi, et tout particulièrement en Alsace, nous sommes souvent entourés de belles choses et d’un patrimoine riche, la plupart du temps dans les vieilles villes et les églises. C’est cet environnement-là qui a probablement infusé en moi, et qui a influencé certains de mes choix. »
Après avoir suivi une option art plastique en parallèle de sa formation technique, Stéphane est allé à la fac pour suivre un cursus d’histoire de l’art à Strasbourg. Mais ce qui a vraiment déclenché quelque chose, c’est ce stage qu’il a décroché, un jour, en frappant à la porte d’un atelier de dorure situé à Schiltigheim.
Motivé, il a commencé par rester trois jours, puis une semaine, et très vite l’apprentissage lui a ouvert les portes de l’atelier sur le long terme. Un CAP et deux ans de métier appliqué plus tard, Stéphane ouvre son propre atelier, et ça fait presque 10 ans que ça dure.
Un métier chirurgical avec un savoir-faire aussi exigeant que technique
Statuettes religieuses, cadres plusieurs fois centenaires abîmés par le temps, appliques murales : tout ce qui est, ou a, un jour, été doré, peut passer dans les mains de Stéphane. Il est en quelque sorte un médecin du patrimoine.
Souvent, ces objets ont une valeur pécuniaire ou sentimentale inestimable, mais également une portée historique et patrimoniale de premier plan. Évidemment, ce sont ces objets qui donnent des sueurs froides à notre artisan passionné par les objets anciens, mais peut-être encore plus par leur passé.
Car Stéphane ne doit jamais se rater et toujours viser juste. Il se doit d’appliquer une restauration cohérente : une tâche parfois compliquée et toujours minutieuse qui nécessite un savoir-faire spécifique et des connaissances poussées.
Des savoirs en art et histoire de l’art, en architecture, dans les matériaux et les produits chimiques, ou encore dans la maîtrise des outils. Il faut en connaître des choses pour ne pas trembler… Et parfois, il ne vaut mieux pas trembler quand un tableau de maître arrive dans l’atelier.
Et vous, que feriez-vous si vous aviez entre vos mains, un tableau encadré et signé de la main de Gustave Courbet ?
Un atelier où le temps s’arrête
Dans son atelier orné de dizaines d’œuvres et objets, Stéphane est d’un calme déroutant – et il en faut de la patience pour venir à bout des restaurations qui durent parfois plusieurs mois. Mais alors, comment tout cela fonctionne ?
Qu’ils appartiennent à un(e) particulier/ère, à une commune ou à une église, les objets sont la plupart du temps envoyés à Stéphane pour analyse, mais parfois, quelques photos suffisent pour comprendre l’ampleur des dégâts. Il se déplace aussi directement sur site lorsque l’objet est trop détérioré, trop ancien ou trop volumineux.
Puis, une phase plus poussée commence, et c’est la clé d’une restauration réussie selon l’artisan :
« Je commence toujours par une phase d’analyse détaillée, je ne dois pas aller trop vite. Avant chaque travail, je dois comprendre ce qui est arrivé à l’objet, dans quel environnement il a été exposé, comment il a été stocké, je dois également connaître son histoire pour savoir à quel contexte historique il appartient. Par exemple, s’il y a un morceau qui manque, je dois être capable de savoir de quelle époque l’objet date pour recréer un décor et une patine qui colle avec la période en question, c’est un travail compliqué », raconte-t-il en grattant délicatement une colle appliquée sur un cadre datant du milieu du siècle dernier.
Pour travailler, l’artisan utilise des objets improbables, qui servent uniquement au métier de doreur. D’ailleurs, Stéphane a toute une collection d’outils étonnants, encore utilisés aujourd’hui.
Colle de peau de lapin, pierre d’agate, poils de martre ou d’écureuil… il en faut du matériel pour restaurer avec précision ces antiquités avant de les redorer. D’ailleurs, les objets ne doivent en aucun cas retrouver l’aspect du neuf, mais plutôt s’ancrer dans une époque, dans un décor cohérent où ils forment un tout, comme dans les églises par exemple.
Mais pour Stéphane, au-delà des objets, c’est leur histoire qui le fait vibrer, c’est pour lui l’aspect le plus passionnant de son métier.
« Je me plonge parfois dans les objets de manière passionnelle, j’aime par dessus tout toucher l’histoire du bout des doigts. Certains objets ont été cachés après la Révolution, d’autres ont été redécouverts après les guerres, d’autres encore sont restés dans des familles pendant des siècles, j’aime aussi comprendre l’histoire de ces bouts de patrimoine. Le métier donne aussi un accès particulier aux coulisses des musées, des cathédrales, et me permet de manipuler des objets déjà restaurés par des artisans d’antan. D’ailleurs, il m’est déjà arrivé de découvrir un message dans un objet, un mot qui ne pouvait être trouvé que par un restaurateur et qui m’était quelque part destiné… Tu imagines l’émotion en le découvrant ?! À mon tour, c’est pour moi une vraie fierté de préserver ce patrimoine et de le transmettre aux futures générations. Car finalement, on ne fait que passer, ces objets nous survivront. »
une adresse mail, ou FB es-ce possible ? Merci et bonne journée.