Entre 1940 et 1945, l’Alsace et la Moselle sont annexées par l’Allemagne Nazi. Le troisième Reich étend sa domination sur toute la société, jusque dans le sport. Le Mémorial Alsace-Moselle revient, au travers d’une exposition, sur la façon dont l’occupant a cherché à contrôler corps et les esprits des Alsaciens et Mosellans jusque dans leurs loisirs.
À l’été 1940, les supporters du Racing découvrent que leur club a changé de nom pour Rassensport Club Straßburg. Si les initiales RCS demeurent, l’équipe joue désormais dans la ligue Allemande. Bientôt, une équipe de foot de la SS s’installe au stade de la Meinau : la Sportgemeinschaft SS Straßburg. La ligue d’Alsace est renommée : Gauliga Elsass. Tout lien avec le foot français est coupé.
En quelques semaines, le sport Alsacien est mis au pas par le régime Nazi. La plupart des 15.000 associations sportives de la région sont dissoutes, les joueurs étrangers et français « de l’intérieur » expulsés et les clubs qui demeurent mis au pas par des administrateurs fidèles au régime. Le sport Alsacien entre à marche forcée dans la politique de germanisation voulue par le Führer.
Préparer la guerre dans les stades
Le rapport des Nazis au sport est affirmé très tôt : ces derniers voient en la pratique sportive une mesure « d’hygiène raciale » pour renforcer et affirmer la supériorité des « Aryens ». Joseph Goebbels, ministre de la Propagande, déclare ainsi dès 1933 que le sport est un moyen « d’affermir le caractère du peuple Allemand, lui inculquer l’esprit de lutte et de camaraderie nécessaire aux combats de l’existence. » Par « combats de l’existence », il faut comprendre la lutte de la « race Aryenne » contre le reste du monde.
Pour les Nazis, le sport n’est donc pas un loisir ou une pratique de bien-être, mais bien un moyen de préparer les Allemands à la guerre. « Des millions de corps entrainés au sport, imprégnés d’amour pour la patrie et remplis d’esprit offensif pourraient se transformer, en l’espace de deux ans, en une armée », écrit ainsi Adolf Hitler dans Mein Kampf en 1924. L
a pratique sportive devient « une obligation » pour les allemands. Les compétitions sportives se transforment en démonstrations de forces et les champions sont les nouveaux guerriers du régime.
Le sport pour les jeunes, un outil pour endoctriner
Dans les premières semaines de l’annexion, les écoles Alsaciennes se mettent à l’heure Nazi. Le sport devient la discipline la plus importante du programme scolaire. L’accent est mis sur la gymnastique et les sports de combats pour préparer les jeunes garçons à la guerre. L’épreuve majeure dans les écoles est alors le lancer de grenade.
Pour les jeunes filles aussi, le sport est imposé, mais cette fois pour qu’elles « offrent à l’État et au peuple, des enfants en pleine santé. » Ainsi, dès l’été 1940, le journal collaborationniste Strassburger Neueste Nachrichten déclare qu’il faut faire des Alsaciens « un peuple sain par l’exercice physique. »
Dans les organisations de jeunesse, Hitler Jugend pour les garçons, et Bund Deutscher Mädel pour les filles, le sport est aussi au cœur des activités. Il participe à l’endoctrinement des jeunes qui est la priorité du régime.
À partir de 1941, il n’y aura plus dans les clubs sportifs que des équipes issues de la jeunesse hitlérienne. Peu à peu, l’emprise du régime se referme sur la jeunesse, toute leur vie étant noyauté par l’idéologie Nazi, jusque dans leurs loisirs.
Méfiance sur les sports populaires
Pour les adultes, la pratique sportive ne revêt pas les mêmes enjeux. L’endoctrinement est moins fort dans les clubs sportifs malgré la présence d’administrateurs Nazis. Ainsi, pour de nombreux alsacien(ne)s et mosellan(e)s, le sport est avant tout un moyen de respirer. Un petit espace de liberté. « Grâce au sport, on arrivait à se dépêtrer un peu des griffes nazies », témoigne après-guerre Evelyne Pinard, une athlète alsacienne.
Si les autorités font la promotion de certains sports comme la natation, l’athlétisme, le rugby et la boxe pour leurs vertus supposément compatibles avec l’idéologie nationale-socialiste. Les nazis se méfient des sports populaires comme le football. Ils craignent les foules de supporters passionnés et les débordements que les rencontres peuvent occasionner. Pour les autorités, le supportérisme fait concurrence à leur idéal d’un peuple uni par l’idéologie.
Résister sur les pelouses, l’exemple du foot
Entre 1940 et 1944, le titre de champion de la ligue d’Alsace se joue principalement entre trois équipes : le Racing, le FC Mulhouse et l’équipe de la SS (l’ancien Red Star Strasbourg). Signe d’une époque bien différente, ce sont alors les Mulhousiens qui remportent le plus de titres. Surtout, les matchs contre la Sportgemeinschaft SS Straßburg sont l’occasion de manifester son opposition au Nazisme.
Devant des autorités médusées, les joueurs de l’équipe de la SS sont sifflés copieusement à longueur de match et les alsaciens font le déplacement pour les voir perdre. Les équipes alsaciennes se déchaînent lors de ces rencontres, ainsi, si le Racing ne gagne aucun titre, il ne perd pas non plus de match face aux SS.
« Les matchs contre la SS étaient des France – Allemagne », témoigne Fritz Keller, un joueur de l’époque. « Les alsaciens se servent de leur football pour nous ridiculiser », écrit le sportgauleiter Kraft. Les joueurs du Racing incarnent cette résistance passive, allant jusqu’à se présenter sur le terrain avec leur maillot bleu, le short blanc et des chaussettes rouges.
Des associations sportives saignées par la guerre
Le coup le dur porté aux clubs sportifs alsaciens et mosellans ne le sera pourtant pas par la répression, mais par la guerre elle-même. À partir de l’été 1942, les jeunes Alsaciens sont incorporés de force dans l’armée Allemande et partent au front. Il n’y a aucune exemption pour les sportifs, ainsi la conscription réduit à néant l’activité de nombreuses associations sportives.
Surtout, pour les clubs, la guerre sera une saignée dans leurs rangs. Le club de foot de Weyersheim déplore 30 morts et disparus, à Schirrhein neuf joueurs trouvent la mort au front. Au sortir de la guerre, les effectifs des associations sportives, tous sports confondus, sont divisés par deux.
Événement
Exposition Corps et âmes - Le sport en Alsace-Moselle 1940-1945
Quoi ?
Présentée du 2 mai au 15 septembre 2024, l’exposition du Mémorial Alsace-Moselle intitulée « Corps et âmes. Le sport en Alsace-Moselle (1940-1945) » dépeint la vie quotidienne des Alsaciens-Mosellans contrôlés et embrigadés par les autorités nazies jusque dans leurs activités physiques.
Pratiqué chaque jour par les enfants à l’école ou dans les Jeunesses hitlériennes, et par nombre d’adultes dans l’armée, dans leur travail ou dans leurs activités associatives, le sport encadrait la société et véhiculait l’idéal nazi de l’homme nouveau voulu par le régime. Qu’il soit amateur ou de compétition, il devait forger les corps et les âmes, outils nécessaires à la propagande et à la construction du IIIe Reich.
Quand ?
Jusqu’au 15 septembre 2024
où ?
Mémorial Alsace-Moselle – Allée du Souvenir Français, 67130 Schirmeck