Hier soir, lundi 10 juin, quatre heures avant l’annonce de la création d’un Front populaire réunissant les partis de gauche, un millier de personnes se sont retrouvées place Kléber avant une déambulation. L’objectif ? Défiler dans Strasbourg contre la victoire du Rassemblement national aux élections européennes et la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron. Dans la foule, la crainte de voir arriver un parti d’extrême droite au pouvoir pousse à la mobilisation.
« Sciamo tutti antifascisti. » « Nous sommes tous antifascistes. » Place Kéber, une forêt de mains levées claque au rythme des slogans lancés depuis le piédestal du général, ce lundi soir. Il est 19h10 et plus de 400 personnes sont déjà rassemblées au cœur de la ville pour protester contre la victoire du Rassemblement national (RN) aux élections européennes et la dissolution de l’Assemblée nationale annoncée par Emmanuel Macron le même soir.
« J’avais besoin d’être dans l’action »
« Hier soir, c’était un peu la déprime », euphémise Noémie, 26 ans, fonctionnaire, venue avec Julie, 32 ans, enseignante. « Voir la carte de France en noir avec les résultats du RN, c’était effrayant », juge cette dernière.
« Les 30% de vote, on les attendait, reprend Noémie. Les scores étaient déjà énormes aux dernières élections. Mais la dissolution… ça nous plombe. En faisant cela, Emmanuel Macron donne les clés du pays à l’extrême droite. »
Reste un sentiment d’urgence. « Les prochaines élections sont dans trois semaines. C’est tout proche. Je suis venue aujourd’hui parce que j’avais besoin d’être dans l’action », explique Julie, qui a commencé à s’informer sur les initiatives locales en matière de collages et d’affichages. « J’attends de voir ce que la gauche va faire, mais je vais peut-être tracter ou faire du porte-à-porte », réagit Julie.
« On se bat pour des droits »
« Macron, Bardella, au service du patronat ! » À 19h30, ce sont désormais près d’un millier de personnes qui occupent la place. De nouveaux/elles arrivant(e)s continuent à affluer. Parmi eux, Mathias, 27 ans et Nicolas, 25 ans, travaillant respectivement dans le médico-social et le social.
« Aujourd’hui, on se bat pour des droits qui ne sont peut-être pas acquis pour la vie », commence Mathias. La possibilité que le Rassemblement national arrive au pouvoir en juillet lui fait craindre pour l’avenir de nombreux « droits humains » comme le droit d’asile ou les droits sociaux. Il craint également « la xénophobie, l’homophobie et la transphobie » des politiques qui seraient alors mises en place.
Médecin, Marika, 49 ans, craint pour sa part un « recul des droits associatifs ». « Je n’arrive pas à imaginer le pays avec le RN au pouvoir. Je suis hyper inquiète pour l’avenir. Je travaille à Hautepierre auprès de populations migrantes et précaires. Ce seront les premières affectées si le Rassemblement national est élu à la fin du mois. Les acquis sociaux ont déjà été pas mal détruits ces dernières années : ce sera de pire en pire. » En matière de mobilisation, la soignante envisage de faire la liste des propositions du RN en matière de santé pour en parler avec ses patient(e)s et les inciter à voter.
« En 1997, on était 20.000 à Strasbourg contre le FN »
« Make racists afraid again ». Dans la foule, le t-shirt de Michèle, 47 ans, fait office de slogan. « Habituée » des manifestations « pour la lutte sociale », l’institutrice juge le moment historique. « Je suis là ce soir pour lutter contre le fascisme et l’extrême droite », pose-t-elle en préambule.
« Je ne suis pas surprise par les résultats du RN aux élections européennes. Ce qui m’inquiète, c’est l’image qu’ils renvoient aujourd’hui. Notre génération se demandait si le RN pouvait être un parti démocratique et jugeait plutôt que non. Je n’ai pas changé d’avis. C’est un parti raciste et xénophobe : un danger pour la démocratie. »
Pour l’enseignante, la percée du RN s’explique notamment par le vote des classes populaires, délaissée par une gauche « qui n’a jamais réussi à s’unir ». À ses côtés, Claude juge également le gouvernement actuel responsable des scores historiques de l’extrême droite. « Ils n’ont pas écouté la majorité sur la réforme des retraites, ni les Gilets jaunes quand ils se sont mobilisés. À force de gouverner contre le peuple, on finit par devenir le marchepied de l’extrême droite. »
Pour les deux fonctionnaires, descendre dans la rue est important. « On se serre les coudes, on partage nos craintes et nos espoirs », juge Claude. Mais parfois, la comparaison s’impose. « En 1997, le Front national avait organisé un congrès à Strasbourg, au PMC. Nous étions plus de 20.000 personnes dans la rue », se souvient Michèle, un brin nostalgique. L’enseignante se réjouit cependant de voir « la jeunesse » battre le pavé.
500 personnes dans les rues
À 20h, un groupe en noir apparait au milieu de la foule et entraine une partie de la place en cortège dans les rues de la ville. Pendant près de deux heures, environ 500 personnes déambulent dans le centre puis du côté du NHC en manifestation spontanée. Quelques face-à-face avec les forces de l’ordre donnent lieu à des jets de grenades lacrymogènes.
Les cortèges se scindent et se reforment au gré des ruelles. Quelques poubelles sont tirées sur la chaussée et incendiées. Rue Sainte-Elisabeth, près de l’hôpital, des riverains de tous âges apparaissent aux fenêtres pour applaudir la foule. Et chanter avec elle, qu’une fois encore, « la jeunesse emmerde le Front national ».