Mardi 6 juin, un peu plus de 5 000 personnes ont défilé dans les rues de Strasbourg à l’occasion de la 14e journée de mobilisation intersyndicale contre la réforme des retraites. Moins nombreux, les manifestant(e)s n’en demeurent pas moins déterminés à obtenir l’abrogation du texte. Et à lutter contre la politique du gouvernement, jugée antisociale.
Ils ne lâchent rien. Ce mardi, l’intersyndicale appelait à une nouvelle mobilisation nationale contre la réforme des retraites. Énième épisode d’un mouvement social comme la Ve République en a rarement connu.
Récapitulons. Après le rejet des motions de censure contre le gouvernement, fin mars, le Conseil constitutionnel a finalement validé une large partie du texte – et notamment le report de l’âge légal à la retraite – mi-avril. La loi a donc été promulguée. Mais la bataille politique continue.
Fin mai, le groupe parlementaire Liot – Liberté, indépendant, Outre-mer et territoire, qui avait déposé une des motions de censure contre le gouvernement – a déposé auprès de l’Assemblée nationale une proposition de loi visant à abroger la réforme.
L’examen du texte en commission a cependant viré à la guérilla et la majorité présidentielle est parvenue à faire rejeter son article 1, qui prévoyait le retour de l’âge légal à la retraite à 62 ans. La proposition de loi sera votée jeudi 8 juin. En attendant, le combat se poursuit en coulisses. L’opposition souhaite réintégrer l’article évincé avant le vote. Tandis que le camp présidentiel fait tout pour vider le texte de sa substance.
“L’objectif aujourd’hui, c’est de remobiliser”
Dans la rue, les syndicats entendent bien peser sur ce rapport de force. “L’objectif, aujourd’hui, c’est de remobiliser les gens après plus d’un mois sans manifestation”, détaille Eric Borzic, secrétaire général de l’union départementale FO 67, au milieu d’une Avenue de la Liberté à moitié vide, à quelques minutes du départ du cortège strasbourgeois.
“Nous ne sommes pas parvenus à mobiliser les 19 millions de travailleurs qu’il y a en France, mais on a quand même réussi à faire descendre entre 10 000 et 30 000 personnes dans les rues du Bas-Rhin à chaque manifestation”, se réjouit le responsable syndical, pour qui la mobilisation est loin d’être terminée. “On continuera tant qu’il le faudra. On sait que cela se jouera à l’usure.”
Même son de cloches du côté du syndicat enseignant SNUipp-FSU 67. “Aujourd’hui, on montre qu’il reste encore des gens mobilisés, prêts à descendre dans la rue pour s’opposer à cette réforme”, explique Jonathan Welschinger, son co-secrétaire.
“On est aussi là pour peser sur le vote qui aura lieu dans deux jours. C’est quand même dommage qu’il n’y en ait pas eu avant”, raille le responsable, qui espère que le débat parlementaire pourra avoir lieu et “qu’il reste encore au gouvernement une once d’esprit démocratique”.
“On est plus en démocratie”
Du côté des manifestants, l’enjeu est cependant plus large aujourd’hui qu’aux débuts de la mobilisation, en janvier. “Aujourd’hui, on est là pour la lutte contre la réforme des retraites, certes, mais il ne s’agit plus uniquement de cela, juge Gabriel Cardoen, militant révolutionnaire. C’est une mobilisation très politique. On se bat contre un projet de société porté par Emmanuel Macron. Un ensemble de lois qui vont dans le même sens. La loi travail, la loi anti-squat, la loi anti-immigration… On est là contre tout un projet néo-libéral.”
Venu accompagner des personnes sans-papiers vivant dans un squat, le militant juge essentiel de faire le lien entre les différents aspects de la politique menée actuellement par le gouvernement : “Il faut lutter contre l’autoritarisme, le déni de démocratie. Et se dire que ce qui permet de faire la chasse aux pauvres et aux immigrés aujourd’hui, ce sont des outils qui pourront être un jour utilisés contre des chômeurs, des grévistes ou des manifestants.”
C’est finalement avec près d’une demi-heure de retard que le cortège s’élance dans les rues de Strasbourg. La foule remonte la place Broglie en direction de la place de l’Homme de fer. Sur le parcours, quelques militants du Parti communiste français distribuent des autocollants “anti-macron”. Lesquels rencontrent un franc succès auprès des manifestant(e)s.
Au moment de contourner la Place Kléber, le groupe de musique du char de la CGT se lance dans les premiers accords de Bella Ciao avant de s’arrêter devant la faible reprise de l’auditoire.
“Oé, vous êtes au courant que c’est un chant révolutionnaire ? C’est pas une chanson qu’on écoute en attendant l’apéro”, plaisante l’un des musiciens au micro. “Vous vous rendez compte que l’extrême droite est à nos portes ? Qu’il y a 80 députés Rassemblement national à l’Assemblée ? Qu’on a des camarades qui souffrent de l’islamophobie, de l’antisémitisme, de l’homophobie… Tout ça, c’est ce qu’on combat !” Et le chant reprend. Plus fort et mieux accompagné.
“Vivre enfin bien’
Lentement, mais sûrement, le cortège contourne la place d’Austerlitz pour se diriger vers les quais, dans le calme. Au milieu de la foule, le collectif On crèvera pas au boulot avance derrière une large bannière. Parapluies à la main pour se protéger des drones autorisés par la préfecture pour surveiller la manifestation. Forgé dans le creuset de la mobilisation contre la réforme, le collectif porte depuis ses débuts un message plus large.
“Nous nous battons contre la politique antisociale du gouvernement”, rappelle Elie – le prénom a été changé – un de ses membres. “Contre la réforme des retraites, la guerre, l’inflation, le tout-sécuritaire, la crise écologique… Notre objectif, c’est pouvoir vivre enfin bien, avec un minimum de moyens, dans des endroits décents.” Aujourd’hui comme dans les mobilisations à venir, ils comptent bien “ne rien lâcher”.
En fin d’après-midi, le cortège arrive au bout des quais. Un groupe d’environ 300 personnes habillées de noir quitte le gros de la foule pour emprunter le Boulevard de la Victoire. Certains d’entre eux tirent au mortier d’artifice en direction des forces de l’ordre qui répondent avec une première salve de gaz lacrymogène. Le début de manifestation sauvage regagne le lit du cortège syndical et arrive finalement place de la République ou une partie de la foule se disperse.
L’interpellation d’une jeune femme à l’arrêt de bus République par la police tend cependant la situation. Un petit groupe de manifestant(e)s proteste face aux forces de l’ordre qui répondent avec une salve de coups de tonfas et procèdent à une seconde interpellation. Les derniers manifestant(e)s quittent finalement les lieux. Une partie d’entre eux s’étend donné rendez-vous devant le commissariat central pour soutenir leurs camarades.