En Alsace, on est assez forts pour utiliser sans s’en rendre compte pas mal d’expressions, tournures de phrases, ou simples mots qui nous semblent anodins… mais qui feraient pourtant bégayer tout Français au-delà des Vosges. De la simple façon de prononcer “oui” jusqu’à la manière de commander dans un snack turc, on fait ici le tour d’une question primordiale : les régionalismes linguistiques alsaciens !
Vous l’avez peut-être vu passer, et vous avez peut-être même atterri jusqu’ici grâce à lui : notre première édition papier du Guide de bienvenue 2023, à destination des étudiant(e)s et des nouveaux et nouvelles arrivant(e)s est sorti !
À l’intérieur, on y a glissé un petit lexique alsacien. Mais aller plus loin, voici quelques autres expressions alsaciennes qui rendent perplexes les Français de l’Intérieur.
S’intéresser aux régionalismes alsaciens, c’est s’attaquer à un bien vaste sujet ! Alors on a décidé de poser nos questions à un expert de ce domaine. Depuis 2015, la plateforme en ligne Français de nos régions recense les régionalismes du français et les partage sous forme de cartes souvent surprenantes.
Derrière cette plateforme : Mathieu Avanzi. Professeur en dialectologie à l’université de Neuchâtel, il étudie à grande échelle les spécificités géographiques de la langue française. Et c’est que le sujet passionne ! “C’est un domaine coincé entre la fierté, la revendication et la curiosité. Les gens veulent mieux cerner le fonctionnement de ces régionalismes”.
Alors justement pour nous aider à cerner tout ça, il a accepté de revenir avec nous sur les spécificités linguistiques alsaciennes.
Et Mathieu Avanzi démarre en confirmant ce que l’on espérait soupçonnait… des régionalismes alsaciens, il y en a un sacré paquet : “Si l’on compare à d’autres régions, l’Alsace est une de celles qui a le plus de régionalismes. En tous cas, notre connaissance linguistique de l’Alsace est plus grande que pour d’autres régions”. En voilà une belle façon de flatter notre égo !
Pour expliquer cela, il faut se pencher sur notre histoire : territoire longtemps disputé entre l’Allemagne et la France, l’Alsace a conservé un substrat, un système linguistique qui a coexisté avec le Français pendant plusieurs décennies.
Nos étranges locutions et tournures de phrase
Comme dit
Que ferait-on sans elle ? Ponctuant toutes sortes de phrases, ‘comme dit’ est certainement une des expressions alsaciennes les plus célèbres !
Cette locution viendrait très probablement de l’allemand ‘wie gesagt‘. Si elle est emblématique des régionalismes alsaciens, c’est qu’en plus d’être très utilisée chez nous, elle est absolument inconnue ailleurs.
“Ça ne fonctionne pas du tout en français standard, c’est vraiment 100% alsacien” confirme Mathieu Avanzi, “c’est pourtant une expression tellement utile, elle n’a pas forcément d’équivalent : même ‘du coup’ ne la remplace pas vraiment.”
Venir avec
Ici, nos germanophones sûrs feront immédiatement le lien avec le verbe ‘mitkommen‘. Mathieu Avanzi précise : “C’est une expression autorisée en Français standard seulement si on connait l’antécédent. Sinon, c’est hyper choquant pour quelqu’un qui ne vient pas de ces régions”.
Ainsi, si vous dites : – J’ai vu Marie, elle vient avec. Ça marche.
En revanche : – Je vais au ciné tu viens avec ? Ça ne marche pas.
Ils veulent de la pluie
Bah oui enfin, c’est la dame de la télé qui l’a dit ! Mais qui ça ils ? Et comment ça ils veulent ?
On imagine alors des gens très mystérieux assis autour d’une table de réunion dans une pièce sombre, qui ne désirent ardemment qu’une seule chose… que demain, il pleuve sur Truchtersheim.
J'attends sur le bus
Si l’Alsacien comprendra aisément que vous patientez jusqu’à l’arrivée de votre transport en commun, il est fort probable que tout autre Français vous suggère poliment de descendre. Pas de surprise, on fait encore une fois un lien avec l’allemand: ‘ich warte auf den Bus‘.
Mais aussi...
Répondre “c’est égal” lorsqu’on vous fait remarquer que “ça tire” à cause de la fenêtre ouverte, “chercher le pain”, gratifier d’un très chaleureux “service !” une personne qui vous remercie… il y en a encore beaucoup !
Un petit tour par la cuisine
La tarte flambée
L’alsacien a aussi pu abandonner des locutions allemandes au profit de locutions françaises… parfois même quitte à aller à contre-courant de tout le reste de la France ! N’est-on pas tenté de faire un petit parallèle avec ces Québécois, tant imprégnés de culture anglo-saxonne qu’ils ressentent un besoin irrépressible de tout franciser ?
Le petit pain (au chocolat)
Si on peut trouver beaucoup de défauts aux Alsaciens, on ne peut cependant pas leur enlever leur patience et leur courtoisie. Parce que ça fait quand même des années qu’on se coltine le sempiternel débat chocolatine / pain au chocolat.
Et – polis que nous sommes – on ne dit rien, on se tait, on supporte. Alors que nous, au fond, on sait très bien qu’en réalité… on dit “petit pain”.
“Le petit pain est le grand oublié du débat !” réagit Mathieu Avanzi, “à l’origine, le mot était ‘petit pain’. Et puis le ‘petit’ a sauté, pour devenir ‘pain au chocolat’. Par miroir, on a eu le pain aux raisins. Cet usage s’est répandu à partir de Paris mais toutes les périphéries n’ont pas suivi cette évolution”.
Le petit pain est ainsi resté dans le Nord Pas–de–Calais, en Alsace, Franche-Comté, Suisse et Belgique.
L'escargot
On peut y voir une certaine logique ! Si l’Alsace a tout bonnement dit nein à la conversion du petit pain en pain au chocolat, on se doutait bien qu’elle ne suivrait pas pour le “pain aux raisins”. Et puis bon, ça ressemble quand même vachement à un escargot.
On notera que deux bourgades bretonnes ont décidé d’appeler ça “alsacienne”… et pourquoi pas ?
Le Döner
Pour le coup, on ne va pas faire les difficiles : on peut s’entendre avec une bonne partie du reste de la France. Döner ou kebab, on se comprend !
Par contre, un grec ? Jamais !
Laemmele, maennele, etc
Et on pourra clore cette séquence bouffe en évoquant ici les laemmele ; le bäckeoffe (récemment entré dans le Larousse) ; les maennele ; les bredele ; etc.
“On est ici à la frontière entre les dénominations et le folklore ! Ces choses-là, on n’en mange pas dans le reste de la France ! Prenez le Maennele : ailleurs, on ne fête même pas la Saint-Nicolas.“
Par ailleurs, on ne saura jamais assez vous déconseiller de faire part à un Français de l’intérieur de votre envie de “manger deux trois gendarmes” en cas de petite fringale. On ne vous donnera pas de saucisses, mais en revanche vous vous exposerez certainement à une visite surprise à six heures du matin (et à un remplacement de votre porte d’entrée).
La prononciation
Ui
Il parait que le reste de la France nous reconnait immédiatement à la façon dont on prononce “oui”. Il faut cependant l’avouer : bien souvent, l’Alsacien ne s’en rend pas compte du tout.
C’est donc une tâche ardue que de l’étudier ! Pour venir à bout de ce problème, l’appli Français de nos régions propose désormais un questionnaire auquel il est possible de répondre à l’oral. Pour l’instant, ce ne sont pas moins de 200 000 enregistrements qui ont été recueillis !
20
Là aussi, on est assez faciles à identifier ! Dans l’Est, on prononce le T.
Une sculpture
Alors celui-là, on ne s’y attendait pas ! Eh oui, essayez… demandez à vos cousins parisiens ou à votre copine de Lyon : a priori, ils ne prononceront pas le P.
Et les inclassables
Brun
Sachez donc que le reste de la France préférera dire “marron” plutôt que “brun”.
Là où le premier nous évoquera spontanément les locomotives de marrons chauds qui envahissent le centre ville pendant le marché de Noël, pour tous les autres Français, c’est une simple couleur.
Une finette
Les régionalismes alsaciens ne proviennent pas tous de l’allemand, certains proviennent aussi du français, à l’image de “finette”.
“Cela désignait un tissu. En Alsace, on ne connaissait pas tous les mots du français parisien… et on avait besoin de nommer des trucs. Donc on a pris des mots parisiens pour ‘faire français’ ”.
Eh oui, pourquoi s’embêter à utiliser des vrais mots si l’on peut en utiliser au hasard ?
Le sachet
Demander un cornet, une poche ou une bourse au monop’ de la Place Kléber constituerait certainement une expérience sociale intéressante.
Il en existe évidemment une multitude d’autres exemples de régionalismes que l’on n’a pas pu évoquer ici !
Pour contribuer aux travaux de Mathieu Avanzi, n’hésitez pas à répondre aux sondages sur le site Français de nos régions, ou via l’application.
Celle-ci présente en plus un aspect ludique : dites-lui comment vous désignez telle ou telle chose, elle réussira à vous localiser (parfois jusqu’à trouver la commune précise d’où vous venez) !
Les Alsaciens disent peut-être ui plus que oui, en revanche, ils prendront houit tartes flambées et pas huit ! Une explication pour ce houit ?
J’aurai dit que “houit” c’était plutôt Lorrain ça ^^
Comme dit,sympa vos analyses…
Ah oui,je n’ai pas encore remarqué que je le prononcais UI 😉😁
Je suis une vraie ALSACIENNE et tellement fière de l’être !!!
Merciiii !!
A lire on ne sent rend même pas compte il faut le lire pour le voir …
Nez bouché ?
Et il y a bien sûr la fameuse ” betonneuse ”
Ou l’épice Maggi qu’on prononce ” magui “
Article très intéressant.
Étant Alsacienne, j’ai bien ri aussi, surtout en voyant la carte de France sur la tarte flambée. C’est bizarre cette “inversion”.
En tout cas, nos langues et expression régionales sont une richesse
Autre exemple : en Alsace on « rouvre « quand on s’est trompé dans son tricot … on ne détricote pas … très bon article
Hoplagueiss. Merci
Et aussi notre fameux “yeuuuh” alsacien, qui n’a pas d’équivalent
Yeuh il manquait, çui-là!
Et le Hopla ^^
Et le fameux mois de « join «
Originaire de Moselle est, je peux vous dire que tout ce que je viens de lire vaut aussi pour ma région. Ce n est pas propre à l Alsace.
Alors la moselle n’est pas une région mais un département. Dans le 54 rien de tout ça.
En meurtre et Moselle non ! Mes ailleux et ancêtres était lorrains ! Ils on eux aussi plein d’expression et ils étaient tjs largué avec les notre ( alsacien) et pour l’histoire et remette les choses à leur places, les haut-rhinois plus proches des allemands on aussi d’autres expressions pour les même mots! Ma belle mère , haut- rhinoise de souche croyez moi, quand elle est arrivée à Strasbourg (pour la mutation de son mari) elle m’a toujours dit que c’était dingue le peu de ressemblance de l’alsacien bas Rhinois! Elle ne comprenait rien m’avait- elle dit et en était toujours, après 30 ans, choquée et que ça lui faisait du bien de revenir chez elle! Et il y plusieurs types d’alsacien entre les cantons et ça c’est trop rigolo à entendre! Je suis de Strasbourg et comprendre l’alsacien du nord est difficile car il disent beaucoup de mots allemands alors que nous intégrons des mots français quant on les ignore! Et si on ne parle pas alsacien et qu’on y est habitué à l’entendre, ceux d’une autre petite région on le capte « tu de suite » ( comme on dit ici! )
La “tirette” au lieu de la fermeture éclair ?
L’alsacien dit aussi très souvent avec son accent pour désigner l’emplacement de quelque chose : “Là il est”
ah ja, “do esch’s” 😄
Et sinon moi la mosellane exilée en Alsace je bois des schlouks, j’allume le foen quand ça caille, je spritze du sent bon quand ça schlingue, etc.
Le foen c’est pas pour se sécher les cheveux ?
Que pense-t-on de “soiTE” pour “Soit il fera beau, soit il fera moche” ? Est-ce que c’est propre à l’environnement dans lequel j’ai grandi ou est-ce que d’autres Alsaciens prononcent le T ?
En revanche je me questionne concernant “attendre sur” que je n’ai entendu que de la bouche d’amis Franc-Comtois, jamais en Alsace…
Mes enfants m’ont fait remarquer que je prononçais “mal” Soit car on entend le T… Ceci dit, c’est assez rare, mais je l’ai déjà entendu de la bouche de non -Alsaciens.
Le “attendre sur” est assez courant en Alsace, ex : tu attends sur quoi ?.
Ce que j’ai remarqué aussi, c’est que pour bon nombre de personnes de ma famille, tout est lavabo, celui de la salle de bain mais aussi l’évier…
Et aussi : je vais au coiffeur, je m’assoie au canapé etc…
En plus il y a tant d’autre expressions : qu’est-“ce que tu as devant demain- j’en ai toute une collection
Parce que dans certains villages dalsace le U se prononce OU
Il va recevoir 70 ans !
Deux choses qui me semble manquer dans cette liste ! J’ai moi même déménagé d’Alsace au sud ouest a la fin des années 90
* Côté pâtisserie je parlais de boule de Berlin pour les “bêtes” beignet au chocolat assez gros
* Tout les mot en Sch + consonnes venant de l’allemand : Schluck, stück, spritz (rien a voir avec l’apéro ), schlass….
J’attendais tellement l’incontournable “rouler la voiture”…
La “oiture” ! On n’oublie le P !