Jeudi 6 avril, la onzième journée de mobilisation syndicale a vu défiler plus de 10 000 personnes dans les rues de Strasbourg. Malgré le coût que représente la lutte, les manifestants restent déterminés.
Avenue de la Liberté, les cortèges prennent le temps de se mettre en ordre. Il est 14h15 et ce n’est pas la foule des grands jours du côté de l’intersyndicale. Mais cela ne décourage pas les participants. Gilet orange de la Cfdt sur les épaules, Dominique défile pour la 11e fois contre la réforme des retraites. Autant de journées de grève qui pèsent sur les revenus de ce salarié du secteur de l’Énergie. “L’équivalent d’un tiers de salaire mensuel tout cumulé”, détaille-t-il.
“Ça a un impact financier, poursuit-il. Car ce ne sont pas uniquement des journées non travaillées, ce sont aussi des jours de vacances que l’on n’acquiert pas, des cotisations qu’on perd pour les retraites, des primes de présence qui sautent… Quand en plus vous voyez le prix du caddie qui augmente pour toujours moins de choses dedans, oui ça fait une différence.” Cependant, le quinquagénaire explique être “très soutenu” par son entourage et ses collègues. “Il y a des gens qui n’ont pas forcément les moyens de se mettre en grève, parce qu’ils ont des enfants ou un crédit…”
Alors pas question de se démobiliser. Bien au contraire. “On va refaire des blocages la semaine prochaine. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, c’est surprenant l’accueil que l’on reçoit parfois. Sur le dernier, dans une centrale d’achat Lidl, les gens nous ont soutenus.”
Faire grève et manifester : un vrai impact sur le budget
Au sein du cortège Force Ouvrière, juste devant, Lydia, elle, en est à sa deuxième manifestation. “Au départ, je n’étais pas forcément contre la réforme. C’est la manière de faire que je n’ai pas supporté”. Après le recours au 49.3, la quinquagénaire s’est mise en grève et a rejoint le cortège d’une manifestation intersyndicale. Ce jeudi en revanche, elle est en congé.
“Il faut que je continue à travailler pour faire bouillir la marmite. Mon mari est cheminot à la Cfdt. Il fait grève à chaque mobilisation et il va continuer jusqu’au bout. Cela représente un coût”. À peu près mille euros jusqu’à présent. “On ne partira pas en vacances cette année”, conclut en souriant cette salariée d’un organisme de sécurité sociale.
14h30, le milieu du cortège syndical se met en mouvement et remonte l’avenue de la Liberté. Co-secrétaire du SNUipp-FSU 67, Jonathan Welshinger reconnaît que la mobilisation n’est pas facile à tenir sur un plan économique. “Mais on arrive encore à fédérer du monde dans les cortèges. C’est loin d’être ridicule et plutôt positif au 11e jour de mobilisation”, détaille le responsable syndical, rappelant que le taux de grévistes s’élève à 20% au niveau national, dans le premier degré.
Membres du même syndicat, Claire et Claire marchent côte à côte. Toutes deux ont participé à l’ensemble des manifestations syndicales depuis le début de la mobilisation. Et posé sept journées de grève. L’équivalent “d’un tiers de salaire sur la totalité”. “Je ne ferai pas grève la prochaine fois, annonce une des deux enseignantes. Je m’étais fixée une somme à ne pas dépasser en termes de coût de la grève.”
“Dans l’éducation nationale, on ne sait jamais quand les jours de grève seront retirés de nos fiches de paie. Cela peut prendre des mois et tomber d’un coup. Et pour l’instant, nous n’avons eu aucune retenue encore”, poursuit sa collègue.
À l’exception de la prochaine intersyndicale à laquelle elle ne pourra pas être, cette dernière compte poursuivre la mobilisation. “Oui, c’est un coût, mais il faut voir ce à quoi on est prêt à renoncer, détaille t-elle. On fait moins de sorties, moins de restos, et on partira peut-être pas en vacances ou moins loin. Mais on peut le faire. Il y en a pour qui c’est plus compliqué.”
“On reste sur des chiffres impressionnants pour Strasbourg”
Place Broglie, Laurent Feisthauer compte le cortège. “Ce n’est plus le même enthousiasme qu’au début, mais on devrait quand même être sur plus de 10 000 personnes dans les rues de Strasbourg aujourd’hui, se réjouit le secrétaire général de la CGT 67. On reste sur des chiffres impressionnants pour Strasbourg. La détermination est toujours là. On va entrer dans une stratégie plus générale jusqu’à ce qu’on se fasse entendre. Il n’y aura plus un ministre, un recteur ou un député à sortir inaugurer des chrysanthèmes sans qu’on soit là pour dire ce qu’on pense de cette réforme. Et le Prince Charles, il n’est pas près de venir en France.”
Lui aussi reconnaît cependant que l’effort de grève n’est pas facile à supporter pour tout le monde. Particulièrement les cheminots, en grève reconductible depuis 31 jours. “On commence à aborder la question des caisses de solidarité entre nous”, explique Maxime Kieffer, secrétaire général de la CGT cheminots Strasbourg.
“Tout le monde n’a pas forcément 31 jours au compteur. On se relaie pour être assez et ménager le porte-monnaie de chacun. Mais on va avoir besoin de cette ressource. À voir lors de la prochaine AG, mais sur le principe, on est d’accord pour reconduire la grève jusqu’à la prochaine journée de mobilisation intersyndicale.”
Cette dernière aura lieu le 13 avril. “Mais au fond, c’est du gouvernement que dépend la durée de la mobilisation, juge le responsable syndical. Nous, on est convaincus d’être dans le bon mode d’action pour faire tomber cette réforme.”
Si les cheminots ont l’habitude des grèves de longue durée – comme en 2020, lorsqu’ils avaient cessé de travailler pendant 62 jours pour lutter contre une autre réforme du système des retraites – Maxime Kiffer note cependant un regain de soutien. Notamment de la part des jeunes, aux côtés desquels les cheminots défilent au début du cortège. “Il y a quelques années, on n’aurait pas imaginé cela. Mais des liens se tissent. Et on prépare peut-être aujourd’hui les bagarres de demain.”
15h53. Une partie du défilé bifurque boulevard de la Victoire au lieu de revenir place de la République. Une nouvelle manifestation spontanée arpente les rues de la ville avant de revenir sur les quais. Sa tête emprunte le pont à côté du palais Rohan et charge le cordon de policiers à coups de pavés et de feux d’artifices. D’autres forces de l’ordre répliquent en aspergeant le quai des Bateliers de gaz lacrymogène. Une partie du cortège est dispersée.
À 16h19, la queue du cortège intersyndicale marche rue des orphelins. Le service d’ordre forme un cordon bloquant l’entrée du quai des bateliers. Une dispute éclate entre des policiers voulant passer et les militants syndicaux. Sans sommation, les forces de l’ordre rompent le cordon à coups de matraques et de gaz lacrymogène. Laissant des manifestants estomaqués par la scène.