Du tigre au chat, il n’y a qu’un saut… de calendrier. Dimanche 22 janvier, les Vietnamiens célébraient le Têt, ou Nouvel an lunaire. À Strasbourg, les festivités avaient lieu à la Pagode Phô Hiên, route de la Wantzenau. À la fois enceinte bouddhiste et lieu de vie communautaire.
Au pied du grand Bouddha blanc entouré d’offrandes, de longues rangées de pratiquants s’étirent jusqu’au fond de la salle des prières. Assis en tailleur, les uns derrière les autres. Certains, les yeux clos, d’autres, plongés dans la lecture d’un petit livret de textes sacrés. Tous, silencieux.
Pas troublés le moins du monde par l’arrivée de retardataires en quête d’une place, au fond ou sur les côtés. Les discussions à mi-voix. Au son du poisson de bois – un instrument de percussion fabriqué dans un bloc de bois sacré – l’assemblée frémit. Il est 10h et les festivités de cette journée du Têt peuvent enfin commencer.
Un hommage aux ancêtres
Premier temps fort : la prière du Nouvel an. Ses maillets dans une main, son micro dans l’autre, le maître de cérémonie psalmodie des mantras en vietnamien repris en chœur par les fidèles. Nombre d’entre eux arborent la robe grise réservée aux baptisés bouddhistes. Au premier rang, la “vénérable” Nisu Nhu Quang, prend parfois la parole entre deux chants.
Elle est la plus gradée des deux nonnes vivant en permanence à la pagode. C’est à elle que revient la charge d’accueillir les visiteurs, de guider les croyants dans leur pratique du bouddhisme et d’animer les temps spirituels quotidiens au sein du lieu sacré.
Sitôt la cérémonie terminée, l’effervescence succède au recueillement. En moins d’une minute, les coussins de méditation et les pupitres sont rangés au fond de la salle pour faire de la place. De nouveaux visiteurs affluent par les entrées situées de chaque côté de l’autel, débordant de fruits, de boissons et de paniers garnis. Se pressent tant bien que mal sur les côtés pour laisser de l’espace au centre de la pièce. Tous n’ont pas fini d’entrer quand l’un des tambours retentit.
Au fond de la salle, les grandes portes du temple s’ouvrent sur une procession constituée d’anciens et de jeunes en tenue traditionnelle. Le groupe s’avance vers le Bouddha, les mains chargées d’offrandes. Les dépose sur l’autel et s’incline à plusieurs reprises devant la statue, au rythme de l’instrument. C’est le salut aux ancêtres. Suivent les vœux de la vénérable. Ce dimanche 22 janvier, les Vietnamiens célèbrent leur entrée dans l’année du chat, symbole de légèreté, d’intuition, d’une vie autonome et d’une bonne observation.
Quand les licornes se mettent à danser
Quelques discours plus tard arrive enfin le moment le plus attendu par les jeunes spectateurs – et leurs parents. Les téléphones se multiplient au bout des mains tendues pour immortaliser l’entrée d’étranges créatures dans la salle. Au rythme d’un tambour, toujours, deux licornes jaunes et rouges dansent et se contorsionnent. Clignent des yeux. Se chamaillent gentiment en suivant un petit personnage bedonnant et radieux.
Au Vietnam, la licorne est l’un des quatre animaux fabuleux – avec le phénix, le dragon et la tortue. La légende raconte que cette créature apparut pour la première fois sur Terre il y a environ 3000 ans. Chaque année, elle venait dévorer hommes et animaux dans les villages, semant la désolation sur son passage. Nul ne savait comment en venir à bout. La population désespérait quand apparut un “génie du sol” bonhomme et souriant. Il avait avec lui de l’herbe dont il se servit pour amadouer l’animal et lui faire passer le goût de la viande.
Devenue douce et calme, la licorne apprit même à danser pour divertir les hommes. Depuis cet épisode, elle apparaît les jours de fête pour apporter chance et prospérité dans ses bagages.
Dans la salle des prières, c’est une laitue que le génie propose aux licornes. Avant que ces dernières ne se mettent à danser, grâce aux acrobates de l’Association de Kung fu shaolin Vu Ba de Strasbourg, cachés sous les pans de tissus. Sautillantes, les voilà parties pour faire le tour d’un public conquis. Les plus jeunes se présentent face aux gueules grandes ouvertes pour y déposer de petites enveloppes rouges. Baptisés Lì xì, ces présents sont une autre tradition du Nouvel an vietnamien. On s’en échange en famille. Elles contiennent des vœux, des prières et un peu d’argent.
“C’est un peu notre Noël à nous”
Les cérémonies terminées, la foule se presse pour sortir. “Je n’ai jamais vu autant de monde que cette année”, sourit la vice-présidente de l’Association bouddhiste vietnamienne de Strasbourg, Jacqueline Lotus, en observant les embouteillages. Le Têt, “c’est un peu comme Noël pour vous, poursuit-elle. C’est une fête très importante lors de laquelle nous nous réunissons en famille. Des gens qui fréquentent rarement la pagode font le déplacement pour l’occasion. Beaucoup viennent faire une prière pour leurs défunts.“
Attenante à celle des prières, une salle leur est d’ailleurs consacrée. L’ambiance y est calme, tamisée, bercée par les volutes de l’encens qui brûlent en permanence sur les autels. Un au pied du Bouddha des ancêtres, représenté sous la forme d’un marcheur aux cheveux longs, un devant le mur des hommes et un autre devant celui des femmes. Sur ces derniers, de petits portraits photo des défunts accompagnés de leurs noms. La pagode est aussi un lieu de recueillement et des communions avec les proches disparus, pour les bouddhistes.
La pagode, gardienne des traditions
Lieu de culte, la pagode Phô Hiên est aussi un lieu d’échanges et de lien pour la communauté vietnamienne à Strasbourg. À la partie cultuelle est adossée une partie profane, constituée d’une cuisine, de deux grands réfectoires et des logements des nonnes. Ce dimanche matin, la salle à manger du rez-de-chaussée est particulièrement bondée. Depuis plusieurs jours, nonnes et bénévoles s’activent pour préparer les mets de fête, au nombre desquels figure le gâteau de riz gluant cuit plusieurs heures durant.
Au menu ce midi, pour ceux qui restent sur place, des soupes de nouilles et des Bánh mì, des sandwichs vietnamiens. Accompagnées de chansons traditionnelles vietnamiennes interprétées par des membres de la communauté.
“Tous les week-ends, nous nous réunissons ici. Il s’y passe toujours quelque chose, détaille Jacqueline Lotus, en nous faisant visiter les lieux. J’y donne des cours de français langue étrangère à des mamans vietnamiennes. Mais aussi des cours de vietnamiens aux enfants, qui ne pratiquent plus forcément assez la langue avec leurs parents pour la maîtriser.” Gardienne des traditions bouddhistes, la pagode est comparable à une église, pour la vice-présidente de l’association. C’est un lieu de culte. Mais également un endroit “ouvert à tout le monde”.
L’agencement du lieu répond à ce double impératif. Une porte vitrée permet d’accéder à l’accueil, depuis la route de la Wantzenau, au nord. Mais un autre parcours s’offre également aux fidèles, depuis le jardin extérieur. Traditionnellement, l’on pénètre en effet dans le temple par le sud. À la Pagode Phô Hiên, le cheminement des fidèles débute dans une antichambre au sein de laquelle trône un Bodhisattva – une incarnation du Bouddha – féminin, au milieu de quatre petites statues figurant les gardiens de ce lieu sacré.
Le visiteur franchit ensuite un pont – sans le savoir, puisque les bassins passent sous le bâtiment – avant de pousser les deux lourdes portes s’ouvrant sur la salle des prières. Cette dernière est également pleine de symboles : les sept fermes de la charpente représentent les sept chakras à ouvrir avant d’arriver au pied du grand Bouddha, dont la tête ne devient visible qu’une fois que l’on se trouve juste devant lui. Il est possible de visiter les lieux “mais mieux vaut appeler avant si l’on est nombreux”, avertit Jacqueline Lotus.
Dans le jardin zen au milieu duquel trône un petit temple isolé, les visiteurs se promènent paisiblement. Certains sont juste passés acheter leur repas de fête, d’autres profitent des lieux après deux heures de cérémonie. Pour le Têt 2023, Jacqueline estime à environ 2000 le nombre de visiteurs à être passé pendant le week-end. Des fidèles d’Alsace comme du reste de la France.
Certains sont même venus de Berlin et l’une des salles de l’étage a été aménagée en dortoir. L’année prochaine, l’association prévoit déjà de louer la salle Marcel Marceau à Neudorf. Pour pouvoir accueillir plus de monde et faire un peu plus de place aux licornes.
Merci beaucoup pour votre reportage
Un grand merci à Pokaa pour avoir écrit le Nouvel An vietnamien.
Bonjour,,
je cherche une amie vietnamienne qui s’appelle Min Phuong , qui habitait à cronenbourg dans les années 1980, elle habitait une tour derrière la rue Augustin Fresnel, je serais ravie d’avoir de ces nouvelles. Mon nom de famille devrait suffire pour qu’elle me reconnaisse …
Cool la vidéo
Magnifique reportage. Un grand merci 🙏