Vous vous êtes déjà demandé pourquoi il y avait autant de rues-du-marché-quelque chose à Strasbourg ? Pourquoi certaines artères ont des dates en guise d’intitulé ? Nous aussi, on s’est posé la question. Alors on est allé gratter sous les pavés pour trouver la petite histoire derrière les noms des rues les plus emblématiques de la capitale européenne. Aujourd’hui, promenons-nous rue Charles-Gerhardt !
Dans la Neustadt, au nord-est de la Grande Île, elle fait partie de ces artères aux façades soignées dans lesquelles on aime flâner, ou faire un détour, quand on a cinq minutes à perdre. Parallèle à la très belle rue de l’Observatoire, elle est connue des promeneurs du quartier et des élèves du lycée René Cassin, auquel elle fait face. Mais à qui la rue Charles Gerhardt rend-elle hommage ? Qui est donc ce personnage et en quoi fût-il suffisamment illustre pour que l’on baptiste une rue en son honneur ?
Né le 21 août 1816 à Strasbourg, Charles Frédéric Gerhardt est un chimiste qui a fait beaucoup pour les lendemains de soirées difficiles, puisqu’il fut le premier à synthétiser de l’acide acétylsalicylique, aussi appelée aspirine. À l’origine pourtant, rien ne prédestinait ce jeune strasbourgeois à faire de grandes découvertes pharmacologiques. C’est par nécessité que son père, Samuel Gerhardt, l’envoie d’abord étudier à l’École Polytechnique de Karlsruhe, de 1831 à 1832. L’homme vient alors de racheter une fabrique de céruse – un pigment blanc obtenu à partir de plomb – et manque de connaissances techniques pour faire fructifier son entreprise.
De l’autre côté de la frontière, le jeune Charles Frédéric se passionne pour la chimie. Lorsqu’il est envoyé à l’école de commerce de Leipzig – dans l’intérêt des affaires familiales toujours – il continue à étudier cette discipline en parallèle avec Otto Linné Erdmann, chimiste allemand spécialisé dans les pigments et les minerais. En 1834, le jeune homme revient à Strasbourg pour travailler à la fabrique avec son père, mais une dispute éclate entre les deux hommes et le fils Gerhardt repart étudier la chimie. Après deux ans à Giessen, en Allemagne, il devient l’assistant d’Eugène Chevreul, chimiste passé à la postérité pour son travail sur les acides gras et sa découverte de la stéarine, un composant important des graisses animales.
Oublié puis redécouvert
Après sa thèse soutenue en 1841, il obtient un poste de professeur universitaire en chimie à Montpellier. C’est là-bas qu’il réussit pour la première fois à synthétiser de l’acide acétylsalicylique (celui qui réussit à l’écrire du premier coup sans se tromper gagne l’admiration de toute la rédaction) en 1853, avant de revenir à Strasbourg pour occuper un poste à la faculté de pharmacie. Mais, en quoi est-ce important au juste ?
C’est de l’écorce de saule blanc qu’est extrait l’acide salicylique, précurseur de l’aspirine. Au début du XIXe siècle, des scientifiques parviennent à synthétiser une substance similaire à partir d’extrait de reine-des-près. Problème : si le médicament obtenu fait tomber la fièvre et soulage les douleurs, il provoque en revanche de graves brûlures d’estomac. La recherche se poursuit donc pour essayer d’obtenir une molécule mieux tolérée des patients. Et c’est là que Charles Gerhardt entre en scène avec son acide acétylsalicylique, dont il dépose le brevet.
Malheureusement pour lui, sa méthode ne permet pas d’obtenir une substance stable. Il meurt trois ans après sa découverte et ses travaux tombent dans l’oubli avant d’être réutilisés par Félix Hoffmann, qui lui, restera dans les mémoires comme le père de l’Aspirine, dont le brevet sera déposé par Bayer.
Charles Gerhardt n’est donc pas tout à fait le père de l’aspirine, mais son grand-père en quelque sorte, celui sans lequel elle n’aurait pu voir le jour. Ironie de l’histoire, la rue qui porte son nom ne se situe aujourd’hui pas très loin du campus universitaire de Strasbourg. Lequel comprend un département de chimie des plus réputés, riche de trois prix Nobel en la matière.