Qui aurait soupçonné que les plus gros fêtards du coin se trouvaient à la faculté de Psychologie de Strasbourg ? Discrètement, dans l’enceinte du laboratoire de Neurosciences cognitives et adaptatives (LNCA), ils étaient pourtant plusieurs à se retourner la tête sous la surveillance étroite de Jean-Christophe Cassel et Anne Pereira de Vasconcelos. Grâce à cette expérience, les deux chercheurs ont notamment fait plusieurs découvertes intéressantes.
“Le hasard”. C’est comme ça que Jean-Christophe Cassel explique s’être retrouvé à fournir quelques rats en alcool et en MDMA . “Ça fait des années que je m’intéresse aux drogues. Entre autres parce que j’ai des ados à la maison et que je m’intéresse aux effets de ces substances.” précise-t-il. Il y a près d’une dizaine d’années, un confrère américain débarque à Strasbourg en tant que professeur invité et visite le laboratoire de Neurosciences cognitives et adaptatives à l’université. Byron Jones, qui travaillait alors sur le système dopaminergique, sera la rencontre qui incitera Jean-Christophe Cassel et Anne Pereira de Vasconcelos à s’intéresser aux effets de la prise combinée d’alcool et d’ecstasy.
Un questionnement pour le moins logique quand on sait que la prise de drogues est souvent associée à l’alcool en soirée. Pour la cocaïne notamment, si de l’alcool y est associé, on a découvert des effets sur la fabrication d’un métabolite actif : le cocaéthylène. Ce dernier accroît les effets euphoriques de la cocaïne, est bien plus toxique et impacte davantage le foie que lorsque la cocaïne est consommée seule.
Les chercheurs strasbourgeois décide alors de tenter l’expérience : “Il y avait déjà de choses de faites sur le sujet, mais seulement sur le système immunitaire et pas d’un point de vue comportemental.”
Quelle méthodologie pour mener à bien une telle expérience ?
Pour étudier de façon précise les effets de cette consommation sur les fêtards, les chercheurs ont donc dû réunir un panel à observer. Une sorte de reconstitution de rave party, mais dans un labo de l’université de Strasbourg et avec des participants particulièrement moustachus : des rats.
Pour obtenir des résultats fiables, l’équipe a donc injecté de l’alcool à une partie des rongeurs, de l’ecstasy à d’autres et une solution saline pour les derniers. Avant de retenter l’expérience en combinant les deux substances. Niveau alcool, évidemment, pas question de faire picoler des pintes de blonde aux rats comme s’ils étaient au bar. Mais on injecte par piqûre une solution qui induit une alcoolémie équivalente à celle d’un homme de 75 kilos, qui aurait bu six verres de vin. Une bonne descente donc. Jean-Christophe Cassel précise toutefois : “Il faut savoir que le métabolisme du rat est de l’ordre six fois plus rapide que l’humain. Donc il ne mettra pas plus de deux heures à éliminer l’alcool qu’il a eu dans le sang.”
Pour la drogue, le panel a eu le droit à un morceau de choix, de la pure MDMA. “C’est le principe actif de l’ecstasy. Dans un comprimé classique d’ecstasy on retrouve le plus souvent de la MDMA, mais il peut aussi y avoir de la coke, du GHB, ou même de la kétamine. Nous, on a utilisé de l’ecstasy pure.” explique Jean-Christophe Cassel.
Des résultats plutôt étonnants
L’hypothèse de départ des chercheurs consiste à vérifier si, comme ils le supposent, l’alcool diminue certains des effets de l’ecstasy. Mais surprise : “On a constaté que l’alcool augmentait l’hyperactivité déjà induite par l’ecstasy.” Les rats sont plus actifs, alors qu’en cas de prise d’alcool seul, ils ont plutôt tendance à s’endormir. L’alcool potentialise donc, autrement dit, accentue cet effet de l’ecstasy. Première découverte pour l’équipe.
Attention cependant, si l’alcool augmente l’un des effets de la MDMA, cela ne veut pas dire qu’il aura la même incidence sur d’autres effets. Et c’est même le contraire que Jean-Christophe Cassel explique avoir constaté : “Si les rats sont hyperactifs, on peut imaginer qu’ils sont plus à même d’être en hyperthermie. Enfin, c’est ce qui nous semblait logique, si on part du principe que de manière globale l’alcool potentialise les effets.” De plus, l’ecstasy seule est déjà hyperthermiante en milieu chaud.
Plus concrètement, lorsqu’on ingère de la MDMA, la température de notre corps va davantage être impactée par la température de l’environnement dans lequel on se trouve. En milieu festif, il fait généralement déjà bien chaud, l’ecstasy va donc provoquer une hyperthermie. Mais nouvelle surprise : l’ajout de l’alcool dans l’équation diminue cette fois-ci cet effet. Moins d’hyperthermie chez les rats également alcoolisés. L’ajout d’alcool à la consommation d’ecstasy donne donc des résultats qui ne vont pas forcément dans la même direction. Dans un cas, l’alcool potentialise l’hyperactivité et dans l’autre, il diminue l’hyperthermie.
Mais alors que faire de tels résultats ? Quand on demande à Jean-Christophe Cassel, les apports que pourrait avoir une telle étude, il indique : “Je fais de la recherche pour la recherche, pour comprendre, c’est déjà bien suffisant. L’objectif premier c’était surtout de comprendre ce qu’il se passait.” Mais il reconnaît toutefois : “Après, si on a un potentiel mécanisme identifié, on a forcément une cible sur laquelle atténuer la symptomatologie des personnes.” En menant l’étude encore plus loin, on pourrait peut-être envisager des moyens de limiter certains impacts lorsqu’un fêtard est en surdosage par exemple.
D’un manière plus générale d’ailleurs, élargir les connaissances que nous avons sur les drogues et leurs effets, constitue une base de travail pour les associations de prévention et de réduction des risques de l’usage de drogues en milieux festifs. Plus les collectifs et les intervenants seront informés, plus ils pourront sensibiliser au mieux les consommateurs sur les risques encourus.
Une addiction plus forte ?
Grâce au test de Préférence de place conditionnée (PPC), Jean-Christophe Cassel et Anne Pereira de Vasconcelos sont parvenus à d’autres conclusions intéressantes. Les chercheurs ont disposé les rats dans une cage spécifique comprenant deux espaces reliés par un couloir. Dans le premier espace, on dispose de la MDMA et rien dans le second. Résultat : le rat passe autant de temps dans chaque espace. Jean-Christophe Cassel précise : “Les études faites chez l’humain et le rat montrent que l’ecstasy n’est pas une drogue très addictive.” Lorsqu’on répète l’expérience avec l’alcool, le rat passe à nouveau tout autant de temps au contact de l’alcool que dans l’espace qui n’en dispose pas.
Mais lorsque les scientifiques placent la combinaison ecstasy et alcool dans un des espaces et rien dans l’autre, le rat préfère ce dangereux cocktail à la pièce vide. “Cette combinaison agit sur les neurones liés au plaisir. En associant les deux, il ressent donc une sensation de plaisir, ce qui pourrait donc mener à une potentielle plus forte addiction.” détaille le chercheur strasbourgeois. On deviendrait donc potentiellement plus facilement accro en associant l’alcool à la MDMA, qu’en consommant la substance seule.
Travailler avec de la drogue quand on est chercheur
“C’est un sujet comme un autre, ce n’est pas particulier.” annonce Anne Pereira de Vasconcelos. Mais pour se fournir, il faut cependant suivre une procédure précise. “Pour commander de la drogue, il faut d’abord demander une autorisation auprès de l’ANSM (L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé). Il faut leur expliquer tout ce qu’on compte faire avec, puis ils donnent un permis d’acquisition et on vous l’expédie.” explique Jean-Christophe Cassel.
Quant au rôle du dealer dans cette affaire, c’est le NIDA (National Institute of Drug Abuse) qui l’endosse. L’institut américain récupère les drogues saisies lors d’activités illégales et permet ainsi aux laboratoires de recherche de travailler dessus. La poudre blanche est alors envoyée en France par voie postale. Anne Pereira de Vasconcelos précise toutefois : “L’ecstasy était dans un coffre, dont Jean-Christophe avait les clefs, évidemment tout ça est répertorié et gardé sous clefs.” Les deux chercheurs indiquent qu’ils auraient tout aussi bien pu s’adresser à un fournisseur en France, mais que les tarifs sont bien plus élevés, soit plus de 1000 euros le comprimé. De quoi dissuader le duo de mener à bien ses recherches. Au terme de l’expérimentation, les chercheurs s’engagent également à détruire le surplus de drogue potentiel, en présence d’un huissier.
Des tests sur les humains envisageables ?
Contrairement à ce qu’on pourrait penser au vu du caractère illégal de la matière première utilisée, des expérimentations sur les drogues ont déjà été menées sur les humains. Poursuivre les recherches des deux scientifiques sur un panel de consommateurs serait donc envisageable. Seulement voilà, les méthodes sur lesquelles s’appuyer sont parfois peu fiables et les résultats fidèles à la réalité difficiles à obtenir. “En général, ce sont ce qu’on appelle des users, donc des personnes qui sont déjà consommatrices et qui acceptent de se prêter à l’expérience. On recrute des volontaires.” confie Anne Pereira de Vasconcelos. Mais la chercheuse pointe un premier obstacle : “Il est presque impossible de constituer un groupe de consommateurs d’ecstasy seule. La plupart des consommateurs sont polydrogues, ils prennent d’autres drogues en plus de la MDMA.” Une réalité qui peut fausser les résultats de l’expérience.
Jean-Christophe Cassel précise par ailleurs que les résultats de ce type d’expérimentation repose en grande partie sur les témoignages des participants : “C’est une limite. On ne peut jamais être sûr du niveau d’exactitude des témoignages.” Par la suite, on peut aussi s’intéresser à ce que les personnes sont devenues quelque temps plus tard, dans l’objectif de constater des effets à long terme. Mais encore une fois, impossible d’en déduire qu’il s’agit seulement d’effets induits par la MDMA et l’alcool. Pas si simple donc, de s’aventurer sur ce terrain-là.