Mi-mai 2021, la réouverture progressive des bars, restaurants et lieux culturels a débuté, nous offrant la possibilité de déconfiner nos vies sociales après des mois de mesures sanitaires très contraignantes. Un retour à la vie d’avant ? Pas pour tout le monde. Trois Strasbourgeois nous ont raconté leur envie de rester au calme chez eux, ou de ne se retrouver qu’en petits comités.
“Je n’ai jamais été aussi épuisée de ma vie. Depuis le 19 mai, c’est la déferlante en ce qui me concerne. Je sors tous les soirs et c’est l’enfer”. La voix calme de Solène*, 25 ans, contraste avec son récit. Serveuse polyvalente à Strasbourg, la jeune femme a depuis deux mois la sensation de faire face à une vague. Un retour à la vie d’avant violent, pour celle qui a passé une longue période en tête-à-tête avec elle-même dans son studio.
“Je me suis découverte introvertie”
Tout a commencé avec la reprise professionnelle, “intense physiquement, mentalement et émotionnellement parlant”. “Il n’y a pas eu de progression. Niveau horaires, après des mois sans journées fixes, on a commencé tout de suite avec un planning très chargé.” Il a fallu également se réhabituer aux interactions avec les collègues et aux terrasses bondées. “Je n’ai pas connu le fait d’être en télétravail ou de rester en contact avec les personnes de mon entreprise pendant la crise sanitaire. D’un coup, il a fallu tout recommencer ensemble alors qu’on ne se reconnaissait plus forcément, c’était assez étrange. Il n’y a pas eu transition.” En revenant travailler, Solène a également découvert une forme de phobie sociale qu’elle ne connaissait pas. Maintenant, “les foules m’angoissent, reconnaît-elle. Les rassemblements aussi, les tables trop nombreuses… C’est terrifiant et particulièrement contraignant pour mon travail que j’adore pourtant.”
Les conséquences de cette reprise un peu trop intense se sont également fait sentir dans sa vie personnelle. “Avant, je sortais beaucoup. J’aimais ça et je me nourrissais de ça. Mais là, mes habitudes ont complètement changé. Je me suis découverte beaucoup plus introvertie. J’aime avoir mes habitudes et mon calme à moi : j’ai appris à vivre seule.” Un chaï latte, une série Netflix, un livre… Loin d’être un second choix, ce type de soirées chill fait le bonheur de Solène. Mais elle se sent encore “obligée de voir toutes ces personnes que j’ai manquées pendant de longs mois. Je me sens coupable de dire non et d’oser dire que je suis fatiguée puisque j’ai eu cette pause contrainte quand d’autres, en télétravail, ne l’ont pas eue. Je me sens illégitime d’être sous l’eau, complètement déboussolée du fait de cette reprise.”
Solène témoigne même d’une certaine fatigue émotionnelle à revoir beaucoup de monde après avoir été isolée pendant longtemps. “Très vite, on demande “Qu’est-ce que tu as fait pendant ces mois-là, qu’est ce qui s’est passé?” Il y a eu des changements physiques ou des changements de vie pour certains. Des évolutions au niveau des émotions ou de la personnalité. À titre personnel, j’ai subi une forme d’introspection de moi-même pendant le confinement et je suis différente de celle que j’étais l’année dernière. Au final, c’est intense de réapprendre à connaître tout le monde et demander des nouvelles : ça fait beaucoup d’informations en même temps. En somme, je suis épuisée par cette reprise et ces réunions sociales. Je ne pensais pas que la réouverture de tous les commerces allait m’affaiblir davantage que leur fermeture il y a quelques mois.”
“J’ai l’impression d’avoir le syndrome de la cabane”, conclut Solène. Depuis mai, ce terme a été très utilisé médiatiquement et par certains psychologues et psychiatres pour décrire la difficulté à sortir de chez-soi après les confinements et les restrictions sanitaires. Il s’agit d’une forme de phobie sociale bien antérieure à la pandémie, aussi appelée syndrome de l’escargot ou syndrome du prisonnier, qui révèle une certaine crainte à affronter le monde extérieur après une période d’enfermement. Le temps passant, la jeune femme commence à en parler autour d’elle. “J’ai évoqué cela avec une de mes meilleures amies qui est, elle, très extravertie mais qui comprend ce changement. “Ça nous a tous affectés d’une manière ou d’une autre. Il y a ceux qui le manifestent en sortant beaucoup. D’autres en ne sortant pas de chez eux.”
“On sent une pression sociale parce que tout a rouvert”
Benjamin, 24 ans, se reconnaît également dans cette difficulté à retrouver une vie sociale normale au lendemain de la pandémie. “On ne peut pas dire qu’elle était particulièrement débridée avant la crise sanitaire mais je sortais. Aujourd’hui, après avoir été enfermé pendant des mois, je dois reconnaître que je n’en ai plus envie”, expose celui qui habite au-dessus d’un bar et voit les gens “s’y précipiter tous les soirs”, un brin décontenancé.
Son confinement, Benjamin l’a passé chez ses parents, à la campagne, au calme, après un premier déménagement en 2020. “Je suis restée isolé là-bas, je sortais juste de temps en temps dans le village. C’est là que je me suis dit : finalement, il y a des choses dont on peut se passer.” En 2021, le jeune homme a réemménagé à Strasbourg et passé plusieurs mois à ne sortir que pour aller au travail ou pour faire les courses. “C’était maison boulot dodo. Il faisait nuit tôt, je n’avais rien à faire. Certaines habitudes sont restées.”
Maintenant, Benjamin aime rester à la maison. “Je range beaucoup, – c’est quelque chose qui est venu pendant le premier confinement, quand je m’ennuyais un peu. Je lis pas mal également, et je regarde des films. Je me suis aussi mis à la livraison en ligne. C’est difficile à expliquer mais je pense que le fait d’avoir été chez moi pendant des mois fait que maintenant, j’en viens à chercher cette tranquillité-là, à être à la maison le plus possible. C’est important pour moi. C’est comme un cocon.”
Le jeune homme sort de temps en temps pour aller au cinéma, mais c’est tout. Il fuit les foules et les terrasses, et décline sans trop de souci les invitations. “On sent une forme de pression sociale parce que tout a rouvert. Les bars, les boites de nuits, les restos… tout le monde se précipite d’un coup. Mais je trouve qu’il n’y a plus de plaisir parce que plus de naturel. Aller en terrasse pour moi, ça doit rester quelque chose d’agréable ou de naturel, d’un peu occasionnel. Pas un truc compulsif.”
“Il y a une forme d’hypervigilance qui reste”
Comme Solène*, Vincent* sortait beaucoup avec son conjoint avant la pandémie, en mars 2020. Mais lui aussi peine à revenir à la “vie d’avant”. “J’ai développé un côté phobie sociale, expose-t-il sans détour. Il y a une espèce d’habitude qui s’est faite d’être dans des endroits plus privatifs, ou seul. J’ai du mal avec les effets de foule, les endroits où il y a du monde.” En cause notamment, une “forme d’hypervigilance qui reste” concernant le virus. Quand bien même il est vacciné. “Je ne suis pas tout à fait libre dans ma tête, je n’ai pas complètement l’esprit tranquille, juge t-il. Je n’en suis pas encore à me dire : aller, on retourne au resto ou on fait la fête ! Chaque semaine on a un nouveau rapport qui dit que telle chose est efficace contre le virus ou ne l’est pas alors qu’on pensait qu’elle l’était, que telle souche est dangereuse ou qu’on ne sait pas si elle l’est… Bref c’est le bordel. Donc sortir c’est toujours se demander s’il y a un risque, et si on le prend.“
Vincent et son compagnon ont repris une vie sociale, mais en petit comité. “Ce sont des habitudes que l’on a prises petit à petit, sur un an et demi. Il faut resituer les choses : en mars 2020, tout s’est arrêté. On a eu une coupure sociale hyper violente. Quand tout a rouvert, on a commencé par inviter une ou deux personnes. On s’est dit que c’était pas mal comme ça. Et sur un temps long, comme celui des restrictions sanitaires, on a fini par s’habituer. Il n’y a plus tellement d’effet de manque par rapport à l’époque où l’on invitait plus largement.”
Le couple a également pris l’habitude de binge watcher des séries, jouer à des jeux de société, lire, faire un peu de déco, et se faire livrer des repas de temps en temps. “Ce n’est pas pareil que d’aller au restaurant, vous avez l’impression que cela compense et vous vous y faites avec le temps”, juge Vincent*.
Globalement, le quadragénaire apprécie ces soirées passées avec son compagnon sur leur nouvelle terrasse, à profiter d’un gin tonic ou d’un bon diner. “On se laisse le temps de vivre”, glisse t-il, un sourire dans la voix. Vincent espère toutefois que ce qu’il nomme lui aussi son “syndrome de la cabane” sera transitoire. “J’aimerais bien revenir un peu plus à la vie d’avant. Je ne suis pas encore allé au restaurant par exemple. Il y a sans doute une chose qui va changer en revanche : avant, quand je ne sortais pas pendant un week-end, j’avais un peu le sentiment d’avoir loupé quelque chose en terme de vie sociale. À l’avenir, je pense que j’apprécierai davantage de rester à la maison. Sans regret.“
*Le prénom a été modifié.