Que ceux qui ne se sont jamais servis de leurs connaissances sur la cathédrale de Strasbourg pour draguer lèvent la main ! Franchement, on l’a tous fait. Et ça nous a donné l’occasion d’entendre toutes sortes de légendes farfelues allant de la deuxième flèche qui aurait été détruite pendant la Seconde Guerre mondiale, à Erwin de Steinbach (le maître d’œuvre le plus connu des chantiers de la cathédrale) qui aurait tout construit seul en trois mois après être tombé dans la marmite de potion étant petit. Du coup, pour vos prochains rendez-vous, on vous a concocté un article sur Vertus et Vices, un élément du décor de notre chère Môman que vous n’aviez peut-être jamais remarqué auparavant, mais qui, une fois raconté, vous permettra de briller en société. De rien !
Commençons par le commencement, et donc par le décor de l’entrée de la cathédrale sur laquelle se combattent Vertus et Vices. En gros les gentils contre les méchants. L’entrée actuelle de la cathédrale se fait au portail nord de la façade occidentale. Mais si, la façade occidentale, celle devant laquelle il faut descendre ton sac de l’épaule, l’ouvrir, en montrer le contenu, le refermer, le remettre sur ton épaule et enfin recevoir un schpritz de gel hydroalcoolique. Mais pour vous simplifier les choses, disons que le côté nord de la cathédrale de Strasbourg, c’est celui où se trouve l’unique flèche qui la coiffe (et le célèbre violoncelliste).
On parle de portail nord puisque les cathédrales n’étaient pas construites au hasard. En effet, le chœur liturgique devait se trouver à l’est, ce qui permettait de créer une vraie orientation géographique, mais aussi spirituelle dans les décors représentés. Le chantier de la mise en place du riche programme sculpté du portail nord date des années 1280. À cette époque, on représentait sur les portails des saints locaux ou des personnages de l’Ancien Testament.
Un combat monumental entre le bien et le mal
Ce portail nord de Strasbourg est tout à fait étonnant puisqu’il montre de manière frontale et monumentale le thème du combat des Vertus et des Vices, figures allégoriques morales. Il s’agit d’un sujet qui est d’ordinaire montré de manière beaucoup plus discrète et plus isolée, dans des proportions très réduites sur les autres cathédrales de l’époque.
Au-dessus de la porte par laquelle nous accédons à l’intérieur de la cathédrale, se dressent huit grandes statues féminines en train de mettre la raclée à coup de lances à des petits personnages qui se trouvent à leurs pieds. Ces femmes monumentales sont les Vertus. Élégantes et guerrières, elles sont vêtues de tuniques amples à plis profonds et de capes. Certaines sont voilées mais toutes sont couronnées d’un diadème ou d’un bandeau d’orfèvrerie. Chacune d’entre elles forment un couple avec un Vice qu’elles foulent de leurs pieds.
Toutes sont alignées mais pas identiques. Les tailles varient entre 1.75 m et 1.90 m, et les postures diffèrent puisque chacune bouge son bras d’une manière qui lui est propre. Le bras gauche ou le bras droit sont plus ou moins relevés, chacune enfonçant de manière brutale ou plus décontractée une lance dans la caboche du petit être impur qui se trouve à ses pieds.
Les gestes de ce groupe de femmes sont très délicats et maniérés. Il est difficile de se dire qu’elles sont pourtant des guerrières redoutables qui sont en train d’étouffer tranquillement huit petits récalcitrants représentants les défauts et les péchés mortels des Hommes : les Vices. A priori, le combat était gagné d’avance puisque les Vices sont de tout petits êtres qui luttent, se contorsionnent et tentent de fuir leur funeste destin. Il est malheureusement trop tard, puisque certains se font déjà transpercer le crâne à coups de lance.
La psychomachie, ou le combat pour l’âme
Le combat entre les Vertus et les Vices est connu chez les Chrétiens comme la Psychomachie, à savoir le combat pour l’âme. Le thème est tiré d’un long poème du poète Prudence qui vécut au 4ème siècle de notre ère. La seconde partie de ce poème nous raconte en 725 vers, le combat allégorique entre chaque Vertu et son contraire. Chacune d’elles s’élance vaillamment à l’assaut de son ennemie, elles sont les soldates du Bien et se battent courageusement jusqu’à ce que le ciel laisse apparaître le Christ, symbole de repli. Le thème n’est pas nouveau puisqu’il se retrouve dans tous les domaines des arts parmi lesquels l’enluminure, la peinture et la sculpture. En s’inspirant de l’œuvre de Prudence, les ateliers de sculpture de Notre-Dame de Strasbourg s’inscrivent dans une longue tradition iconographique.
Cette œuvre, qui fut une source d’inspiration majeure dans l’art médiéval, nous permet de pouvoir nommer au moins sept des huit Vices, sans pouvoir pour autant les identifier précisément puisqu’aucun attribut ne les différencie l’un de l’autre, et ne permet de mettre en avant le défaut moral qu’ils représentent. Sont donc présents Superbia (l’orgueil), Avaritia (l’avarice), Luxuria (la luxure), Invidia (l’envie), Guba (la gourmandise), Ira (la colère) et Acedia (la paresse).
Toutes les pulsions, les tendances et les passions humaines sont donc représentées, et visiblement, elles ne sont pas les bienvenues.
Par ailleurs, les inscriptions qui se trouvaient autrefois sur les parchemins que tient chaque Vertu sont aujourd’hui illisibles, ce qui ne facilite pas la tâche aux chercheurs. Il est donc impossible de reformer les couples de manière certaine, d’autant plus que les qualités représentées variaient d’une cathédrale à une autre.
Un ticket pour le Jugement dernier s’il-vous-plaît !
La représentation de la Psychomachie à l’entrée de la cathédrale n’est pas anodine et vient rappeler au visiteur l’importance des bonnes actions dans sa vie, mais aussi la place de sa foi en Dieu pour vaincre le Mal. Les deux bandes rivales qui s’opposent rappellent la lutte intérieure du fidèle qui est constamment tiraillé par ses sentiments et ses pulsions.
Mais, spoiler alert, la suite de l’histoire nous explique que le fidèle qui aura vaincu la tentation et les vices se verra récompensé au jour du Jugement dernier. La taille monumentale des Vertus par rapport aux Vices est là pour remémorer au visiteur l’importance qu’il doit accorder aux actes vertueux au cours de sa vie.
Ce petit rappel a tout son sens ici puisque le Jugement dernier est aussi représenté à l’intérieur de la cathédrale, dans le bras sud du transept, sur le fameux Pilier des Anges, dont nous te parlons davantage dans un autre article.
Alors, prêt(e) à briller lors de ton prochain date ?