Pour beaucoup de Strasbourgeois, le jumelage se limite au panneau que l’on peut apercevoir à l’entrée de la ville. Et pour cause, c’est bien souvent le seul moment où on nous rappelle de l’existence de cette pratique si particulière. Strasbourg est jumelée avec pas moins de cinq autres villes dans le monde. Mais en quoi cette histoire de jumelage consiste vraiment ?
À l’époque des premiers jumelages, le premier Secrétaire général du Conseil des Communes d’Europe, Jean Bareth, décrit cette pratique comme “la rencontre de deux communes qui entendent s’associer pour agir dans une perspective européenne, pour confronter leurs problèmes et pour développer entre elles des liens d’amitié de plus en plus étroits ». Plus concrètement, c’est une sorte de contrat politique entre deux collectivités locales, scellé par la signature d’un serment de jumelage. Mais qu’est-ce que ça apporte vraiment ?
Petit point historique
C’est au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, qu’un groupe d’intellectuels suisses initie le contact entre des maires français et allemands. Plusieurs rencontres ont donc lieu et l’une d’entre elles conduit à la création de l’Union internationale des maires (UIM), une association qui aura pour but de rapprocher les peuples d’Europe et de faciliter la compréhension franco-allemande. Si la plupart des jumelages franco-allemands ont été mis en œuvre par l’UIM dans les années 1950, d’autres sont initiés en parallèle par le Conseil des communes d’Europe (aujourd’hui le Conseil des communes et régions d’Europe) fondé par une cinquantaine de maires européens. L’objectif ? Réconcilier les pays d’Europe et nouer des liens entre les communes pour favoriser les relations internationales en dehors de la seule action des États. Le concept de “jumelage” naît alors dans le but de bâtir une “Europe des citoyens” grâce à des passerelles de coopération entre les plus petites collectivités locales existantes. Depuis sa création, c’est donc l’AFCCRE qui anime les jumelages européens en France et qui met en contact les communes françaises et européennes.
Les premières réflexions autour d’un jumelage concernent les villes de Montbéliard et Ludwigsburg. Le maire de Montbéliard, Lucien Tharradin est un ancien résistant et rescapé du camp de Buchenwald et est convaincu de la nécessité d’un rapprochement franco-allemand. Conclu en 1950, ce premier jumelage, ne sera officialisé qu’en 1962. Mais il symbolise encore aujourd’hui le premier partenariat. Aujourd’hui, la France est le pays européen qui comptabilise le plus de ces partenariats avec plus de 6 700 jumelages et plus de 4 000 communes jumelées. Si les liens peuvent aussi bien être établis avec des villes situées sur le continent européen que les autres, près d’un tiers concernent des villes allemandes. Par ailleurs, aucune limite n’est imposée aux communes, qui peuvent être jumelées à autant de villes qu’elles le souhaitent. La petite commune de Cissé située en Nouvelle-Aquitaine est ainsi jumelée avec pas moins de 27 communes européennes. À l’inverse, les villes de Rome et Paris ont quant à elles signé un pacte exclusif en 1956 en invoquant la devise suivante : “Seule Paris est digne de Rome ; seule Rome est digne de Paris ».
5 jumelages, qu’est-ce que ça apporte à notre ville ?
Les jumelages de Strasbourg reposent sur des relations historiques qui datent d’au moins 30 ans pour Dresde (Allemagne) et Ramat Gan (Israël), voire 60 ans pour les autres, à savoir Boston (USA), Leicester (Angleterre) et Stuttgart (Allemagne). La ville comptabilise donc cinq jumelages qui ont permis aux municipalités qui se sont succédées, d’échanger avec leurs homologues étrangers, notamment à propos de politiques publiques comme l’explique Julia Dumay, adjointe en charge des relations européennes et internationales à la Ville : “Ça permet des échanges de bonne pratique sur des politiques publiques innovantes. L’idée, c’est de pouvoir échanger sur des défis communs, puisque les villes font face à des défis globaux comme le réchauffement climatique. Donc ça permet de voir comment les villes s’y adaptent.” En tant que première ville cyclable de France, mais aussi grâce à son réseau de tram, la mobilité à Strasbourg retient particulièrement l’attention de plusieurs villes jumelles, qui cherchent à mieux comprendre comment la Ville a développé cette politique.
À l’inverse, on n’hésite pas non plus à prendre exemple et à s’inspirer des expérimentations concrètes des autres villes jumelles comme celle de Stuttgart par exemple, qui a développé dans le cadre de l’accueil des migrants, un Welcom center. Situé en plein centre-ville, ce guichet unique a pour but d’orienter tous les nouveaux arrivants dans leurs démarches. Julia Dumay précise d’ailleurs que plusieurs délégations strasbourgeoises se sont déjà rendues sur place par le passé pour comprendre l’organisation d’un tel service. Et qui sait, peut-être qu’un Welcom center local verra le jour dans les prochaines années ?
Mais le jumelage, c’est aussi l’occasion de nouer des liens économiques entre deux villes. À Boston, un programme a ainsi été mis en place pour que des start-ups locales dans le milieu de la santé puissent s’y implanter. Quant à Dresde, qui est considérée comme une ville à la pointe dans plusieurs domaines de recherche, les chercheurs de l’université de Strasbourg sont encouragés à s’y rendre via l’attribution de bourses.
Et aux habitants ?
La particularité d’un jumelage, c’est qu’il concerne pleins de domaines différents comme les échanges scolaires, culturels et sportifs, qui touchent de manière plus directe les Strasbourgeoises et les Strasbourgeois. Pour les étudiants.tes inscrits.tes dans un établissement d’enseignement supérieur, c’est par exemple la possibilité d’aller étudier dans l’une des villes jumelles grâce à des bourses octroyées par le dispositif Mobilitwin. Les montants alloués vont de 1 000 à 2 000 euros et environ 50 étudiants.tes en bénéficient chaque année. Et le dispositif pourrait bien s’étendre à l’avenir aux jeunes d’une manière plus large d’après l’adjointe en charge des relations européennes et internationales : “Notre enjeu sur ce mandat, c’est d’encourager la mobilité des jeunes qui ne sont pas forcément dans des écoles, dans des lycées ou dans un cursus universitaire, en développant le service volontaire européen. Et ça signifie aussi s’adresser aux jeunes de tous les quartiers de Strasbourg, donc en impliquant les centres sociaux culturels par exemple afin d’étendre les jumelages à de nouveaux domaines.”
Dans le domaine de la culture justement, des résidences d’artistes existent à Dresde et à Stuttgart, et qui permettent à nos artistes locaux de s’y installer et à d’autres artistes étrangers de venir à Strasbourg. Encore récemment, malgré les limites imposées par le contexte sanitaire, le projet Art on Science porté par l’association Trafic d’Art a permis de faire voyager des œuvres entre Boston et Strasbourg. Faute de pouvoir voyager eux-mêmes, certains artistes se sont donné rendez-vous pour le vernissage en visio en octobre dernier. Un projet de mail art a également pu voir le jour, au cours duquel des habitants de chaque villes jumelles ont pu décorer des enveloppes qui ont ensuite été envoyées puis exposées au Lieu d’Europe.
Mais malheureusement, la pandémie de Covid-19 a eu un impact sur les temps forts qui sont habituellement organisés dans la ville pour célébrer les anniversaires des jumelages. Et cette année, ce sont tous les projets liés à trois anniversaires, celui du jumelage avec Boston, Leicester et Dresde, qui ont dû être annulés ou reportés.
Quels sont les objectifs de la nouvelle municipalité ?
Cinq villes jumelées, c’est déjà plutôt un bon score pour Strasbourg. Aucun nouveau jumelage ne semble donc être à l’horizon, car la nouvelle municipalité en place depuis juillet a plutôt pour objectif d’approfondir les relations déjà existantes. “Le concept du jumelage a un peu vécu. La plupart des villes ne sont pas en train de nouer de nouveaux jumelages. Mais pour autant, il ne s’agit pas de les laisser de côté. Redynamiser celui de Leicester, ce serait intéressant puisqu’avec le Brexit, c’est important de réaffirmer que nous avons toujours des liens. Et d’ailleurs, la ville de Leicester s’était prononcée contre.” explique Julia Dumay. Dès sa prise de fonction, presque tous ses homologues des villes jumelles ont rapidement adressé un courrier de félicitation à Jeanne Barseghian, mentionnant parfois des thématiques chères à la nouvelle maire comme les enjeux climatiques ou encore la démocratie citoyenne. L’adjointe précise également que la municipalité est en train de recenser les jumelages des 32 autres communes de l’Eurométropole pour relancer les possibilités offertes par chacun d’entre eux.
Ensuite, la Ville compte mettre en avant le Lieu d’Europe situé dans le quartier de la Robertsau à proximité du Parlement européen, afin d’en faire le principal espace dédié aux jumelages. “La Ville peut vraiment servir de levier pour mettre en contact des porteurs de projet strasbourgeois avec des structures équivalentes. Et pour la valorisation des projets, ça peut se passer au Lieu d’Europe.” indique Julia Dumay. Elle ajoute que la municipalité prévoit d’accueillir des délégations des villes jumelles comme celle de Stuttgart, la plus proche d’entre-elles, afin de les convier à des événements strasbourgeois phares comme le Forum mondial de la Démocratie ou encore le European Youth Event organisé par le Parlement européen. Enfin, l’adjointe précise par ailleurs que les échanges peuvent se construire sans que la Ville n’intervienne nécessairement. À Boston par exemple, un comité de jumelage détaché de la Ville a été créé. Pour l’adjointe, c’est une des voies qui permettrait de faire évoluer encore davantage les relations entre les acteurs des différentes villes jumelles.
Ça serait bien que ça serve aussi pour les habitants de Strasbourg de pouvoir connaître les traditions et mets de chaque ville en organisant 1 ou 2 voyages par an , et où eux pourraient venir aussi.