Des allées toujours nickelles, des arbres bien taillés, des fleurs aux couleurs chatoyantes : dans nos rues et dans nos parcs, presque rien ne dépasse. Il faut dire qu’à Strasbourg, nous sommes habitués à évoluer dans un environnement urbain maîtrisé, où se mêlent des espaces bien entretenus. Entre verdure, parcs, étendues de fleurs et immeubles de pierres brutes. Mais derrière ce doux visage, aussi parfaitement lustré qu’une bourgade suisse, il y a des paysagistes aguerris, des moyens déployés conséquents et surtout : des Hommes passionnés qui bossent toute l’année, rien que pour notre confort et celui de nos pupilles. On avait envie de les rencontrer pour prendre une bouffée d’air frais et discuter de l’approche très personnelle qu’ils ont de leur vocation.
L’Orangerie, le QG des dealers de tulipes à Strasbourg
J’arrive à l’une des extrémités de l’Orangerie : j’ai rendez-vous avec l’un des responsables des espaces verts, en plein milieu de l’après-midi. Je me rends rue des jardins fleuris, la bien nommée. Arrivé à destination, un grand portail s’ouvre devant moi. C’est le QG, là où ça deal de la tulipe en masse. Je rentre dans un immense espace, comme un petit village à l’ombre des regards où les équipes se retrouvent, se reposent, se lavent, prévoient leur semaine, rangent leurs outils, mangent un bout. En somme, rien de bien folichon. Ce qui m’impressionne, c’est la taille de cet espace qui entoure le bâtiment. J’y vois des rangées entières de bancs fraîchement peints, prêts à être posés dans nos rues, des gravats, des arbres bien rangés, des pots géants, des ornements, des machines étranges, des métaux, du ciment, des routes balisées et surtout d’immenses serres remplies de fleurs aux mille couleurs. Je comprends vite que tout le mobilier urbain et tous les aménagements, en plus des dizaines de milliers d’arbres et de plantes qui jonchent la ville (27 000 variétés en tout) sont made in Orangerie. C’est le temple de la débrouille et du circuit court. Ici, on achète presque rien mais on gère tout avec ses mains. J’ai envie de savoir comment tout cela fonctionne et à quoi sert ce joyeux bordel organisé. C’est monsieur Christian Graff qui va éclairer ma lanterne.
Une équipe de paysagistes passionnée et motivée, tout au long de l’année
L’orangerie fait 27 hectares. Une grande partie du parc comporte des jardins à la française, gorgés de fleurs et nécessitant un entretien méticuleux toute l’année. Une autre partie est plus boisée et on y croise des massifs plus épais, plus fougueux, plus libres, pour un style de jardins dits à l’Anglaise.
Christian Graff y est agent de maîtrise principal. À 58 ans, il plonge ses mains dans cette terre fertile depuis 37 ans déjà. Plus jeune, il souhaitait devenir horticulteur, une véritable passion. Il faut dire que depuis toujours, les fleurs en tout genre, ça le connaît. Aujourd’hui, on peut dire que l’homme à l’accent alsacien rassurant a réussi à combiné sa passion pour les fleurs avec son envie de liberté, de nature, de créativité et de camaraderie. Et son terrain de jeu, c’est donc le parc de l’Orangerie, un bijou de verdure dessiné par Antoine du Chaffat en 1735.
Une petite voix n’a jamais cessé de chuchoter à l’oreille de Christian qu’il serait heureux de travailler le nez dehors, de bosser avec ses mains, la tête dans les couleurs. Cette voix, il l’a écouté. Des fleurs, il en voit désormais tous les jours, et en plus de cela, il vit une véritable aventure humaine, riche en leçons de vie et en apprentissages. Christian sait désormais tout faire : pavage, dallage, élagage, taille, coupe, création d’espace, management d’équipe, gestion de planning, prévention des risques, rénovation, menuiserie, mécanique, horticulture, herboristerie, tri, valorisation des déchets, préparation des boutures, des semis, bêchage ou encore engraissage. Et du boulot, il y en a, toute l’année :
“Les gens pensent que lorsqu’il pleut, qu’il fait trop chaud ou trop froid, on se repose sur notre canapé. Mais non, qu’il pleuve ou qu’il neige, l’hiver ou l’été, on est dehors. On s’organise comme on le peut au jour le jour, et nous sommes bien-évidemment tributaires de la météo. La journée commence à 7h et se termine à 16h. On bosse du lundi au vendredi plus le dimanche matin, selon les disponibilités de chacun. C’est un travail qui te prend aux tripes, et il ne te quitte vraiment jamais.”
Une volonté de toute faire en local
Avec ses 13 collègues paysagistes, il gère les espaces naturels du parc, ceux du quartier des XV, de la place Arnold ou encore ceux de l’Université avec une fierté presque pudique. Et pour Christian, gérer, c’est se débrouiller en ultra local, avec ses compétences et celles de ses amis ébénistes ou horticulteurs. Lui, avec l’aide logistique et financière de la mairie, se démène pour que tout ou presque soit fait en interne, sans commander des fleurs ou des matières premières à l’autre bout du monde :
“Nous ne commandons presque rien à l’extérieur, nous produisions quasiment tout nous-même. Chaque fleur, arbre, et plante que vous voyez à Strasbourg a été élevée ici dans les serres de l’orangerie. Cela représente des dizaines de milliers de références. Nous sommes en gestion quasi-autonome. Mais ça, évidemment, c’est beaucoup de boulot, ça se prévoit un an à l’avance, c’est un système bien rodé depuis 17 ans, que je gère. C’est un secteur complet, riche et extrêmement motivant et l’environnement du parc ajoute quelque chose. Et puis, ce qui me plaît, c’est la diversité des métiers : on a toujours quelque chose à faire, des conseils à offrir ou à demander… Même après 37 ans de travail !”
Un métier physique, en manque de reconnaissance
Même s’il bosse dur, Christian m’explique que ses équipes, ses collègues, manquent peut-être parfois de reconnaissance. Pourtant, chaque Strasbourgeois profite des fruits de leur travail, de leur obsession du beau, du propre, du bien rangé, du bien aménagé, du bien décoré. Ça Christian, il le sait, et cette satisfaction lui dessine un discret sourire aux coins des lèvres. Il ne dira jamais clairement “et ouais, ça, c’est mes gars qui l’ont fait“, pourtant, il le pense très très fort, c’est sa fierté.
“Le parc de l’Orangerie… On le vit, on est tout le temps sur ce site. Je le connais par cœur, mieux que ma maison d’ailleurs. J’y passe plus de temps que chez moi. En plus, les jeunes sont motivés, l’environnement du parc est privilégié. On y croise une diversité de passions, de métiers, de personnalités, le parc change tout le temps et je suis fier de travailler dans ce lieu chargé d’histoires avec ces personnes. Je ne le dis certainement pas assez à mes collègues mais je peux vous dire que je suis fier d’avoir une équipe comme celle-là. J’ai beaucoup de chance parce que les 13 tiennent la route, ça bosse, tout le monde est motivé, c’est pas courant de nos jours. C’est simple : j’ai une équipe de ouf.”
Heureusement, certains Strasbourgeois expriment quand même leur reconnaissance et leur adressent des remerciements bien mérités :
“Vous savez, parfois on reçoit des courriers, des gens de tous âges qui nous envoient des mots de soutien, des dessins, des photos, c’est ce qui nous motive et nous apporte de la fierté. On bosse et les Strasbourgeois nous le rendent bien. Plus personnellement, on m’a missionné pour créer mon propre jardin à la Française. J’y choisis les couleurs, les plantes, le décompte des variétés et je travaille à ma propre réalisation, ça aussi ça me rend très fier. Une véritable liberté d’entreprendre et de créer dans un lieu historique avec une équipe à tomber, j’ai vraiment de la chance !”
Mais aujourd’hui la retraite de Christian arrive à grands pas, c’est l’occasion pour lui de penser au passé, à l’évolution de son métier qu’il a tant aimé et qui l’a tant usé.
“Au fil du temps, la machine a bel et bien remplacé les hommes. À l’époque, on était 23 à effectuer un travail uniquement manuel, il y en avait pour tout le monde, même si il faut avouer que le travail était plus éreintant. Aujourd’hui on est 14, mais les deux tracteurs qui ont progressivement remplacé la petite dizaine d’hommes ont été bien accueillis. Pour la simple raison qu’ils ont permis, non pas d’effectuer un travail plus précis, la main de l’homme est son meilleur outil, mais bel et bien de moins nous abîmer à la tâche.“
Et oui, des années de boulot manuel, de genoux pliés, de flexion, d’extension, ça abîme. Aujourd’hui Christian a un peu de mal à marcher, son médecin lui a conseillé de se reposer. Mais attention, scoop : il n’y arrive pas vraiment : “Moi ce que j’aime, c’est être dehors. Pendant le confinement j’ai passé 100% de mon temps dans mon jardin.”
Même s’il fait plus jeune que son âge (le grand air ça conserve), Christian a donc le corps usé. À deux ans d’une retraite qu’il peine à regarder en face, son corps grince, ses nerfs le font souffrir. Aujourd’hui il a du mal à travailler comme avant, avec le plaisir de pouvoir faire de larges mouvements du matin au soir. Pourtant, il est là, fier de me présenter son travail d’abord, mais surtout son équipe et les personnalités qui l’a compose : Arnaud, Martial, Miguel ou encore Arnaud. Des accents chantants, des phrases taquines, des coups de bêche… Une bien belle équipe à laquelle je penserais maintenant, à chaque fois que je verrais une jolie fleur ou un arbre parfaitement taillé dans les espaces verts de Strasbourg.
Un grand à Christian Graff et son équipe !
Magnifique… Hahaha