En cette période de pandémie, le chantier du GCO est de nouveau en activité depuis le 28 avril, après une période d’arrêt de plus d’un mois. Mi-mai, ce sont 450 personnes qui sont de retour sur le terrain et qui construisent cette autoroute, sujette depuis longtemps à une forte opposition locale. L’organisation du travail a dû être fortement modifiée. Nous avons donné la parole à un ouvrier, conducteur d’engin, qui nous livre son expérience de terrain.
“Ce chantier a toujours été particulier de toute façon,” constate Jérémy, conducteur d’engin qui œuvre pour la construction du GCO. Le 17 mars, celle-ci a été stoppée comme la quasi-totalité des chantiers en France pour faire face à l’épidémie de Covid-19. Depuis le 28 avril, la construction de l’autoroute reprend progressivement avec des opérations de terrassement et d’assainissement. Le 2 avril, l’OPPBTP (Organisme Professionnel de Prévention du Bâtiment et des Travaux Publics) publiait un guide de préconisations pour la sécurité sanitaire afin de permettre la reprise des activités de construction.
“Nous avons suivi scrupuleusement ces consignes sanitaires,” explique Jean-Luc Fournier, directeur de la communication de Vinci Autoroutes, joint par téléphone. Jérémy, lui, raconte son expérience de terrain. “On a dû s’adapter, on doit se laver les mains très régulièrement et on reçoit un masque FFP2 par jour que l’on doit mettre systématiquement quand on est au contact d’autres personnes. Il y a énormément de choses qui ont été mises en place. Après, le risque zéro n’existe pas.”
“En gros, c’est comme d’habitude, on bosse et on dort”
Jérémy est originaire de la Meuse. “Environ 70% des ouvriers ont trouvé des solutions pour dormir à proximité du chantier,” selon lui. Avec quelques autres travailleurs, il a installé sa caravane chez un agriculteur à Duttlenheim. “Notre quotidien est très intense. Là c’est reparti après la pause du confinement, c’est intense ! Comme d’habitude, on travaille 42 heures par semaine, quelles que soient les conditions météorologiques. On débute le matin, entre 7 et 8h, et on finit le soir vers 17 ou 18h. En gros, on bosse et on dort.”
Le vendredi soir, il rentre chez lui pour le week-end et retourne sur le chantier le dimanche en fin de journée. “Depuis un an, c’est comme ça. C’est très fatiguant. Mais les gros chantiers, il faut comprendre que c’est un milieu très particulier. On le sait quand on s’engage. On s’entend bien globalement entre ouvriers, on se serre les coudes. C’est important au vu de la difficulté du métier. Avec la pandémie, on ne sait pas trop comment ça va évoluer. C’est un peu le flou.“
450 personnes sur le chantier mi-mai
Le 7 mai, après une période en chômage partiel, plus de 300 personnes étaient à nouveau présentes sur le chantier. Le 18 mai, ils sont environ 450 et devraient être rejoints par 80 ouvriers supplémentaires dans les jours qui suivent. En tout, dans la période actuelle, 800 personnes travailleraient si l’activité était normale. “Il n’y a pas de rupture de compétence ou d’approvisionnement à proprement parler. D’ici quelques semaines, on devrait tourner au maximum. Environ 40 référents sécurité travaillent là-dessus. Pour le moment, on s’en tient à une ouverture fin 2021, même si nous restons tributaires des aléas climatiques,” explique Jean-Luc Fournier.
La CGT Construction a interpellé Xavier Huillard, PDG de Vinci, au milieu du mois d’avril, pour demander la continuité de l’interruption des chantiers en dehors de toute nécessité urgente et vitale pour le fonctionnement du pays. De son côté, le collectif GCOnonMerci “s’interroge sur la possibilité de continuer le chantier tout en garantissant la sécurité sanitaire des ouvriers et des populations locales.”
“Je travaille pour gagner ma croûte, je ne suis pas pour ou contre”
Cette forte opposition au chantier de la part de la population locale a longtemps rythmé le quotidien des ouvriers.Le chantier a été interrompu de nombreuses fois par des blocages d’opposants entre septembre 2018 et janvier 2019. Ceux-ci dénoncent notamment “l’écocide de forêts centenaires, l’expropriation d’agriculteurs et l’inutilité du projet.” En outre, ils estiment qu’au vu des 7 avis défavorables (sur 8 en tout) émis par la commission d’enquête sur le GCO, sa construction est un “déni de démocratie.”
“Moi, je travaille pour gagner ma croûte, je ne suis pas pour ou contre, je ne connais pas la situation ici de toute façon. Mais on a bien senti qu’il y avait une très forte opposition de la population locale,” explique Jérémy. Pour lui, “c’est quasiment impossible d’arrêter un aussi gros projet.” Lors de son assemblée générale le 15 novembre 2018, la CGT-Vinci avait pris position en faveur de l’arrêt des travaux :
“Nous rejoignons les analyses de l’Union Départementale CGT du Bas-Rhin, qui s’est prononcée contre le GCO, après avoir étudié avec beaucoup de minutie le projet : nous disons non à un projet de couloir à camions européen, conçu pour alimenter les caisses déjà bien pleines de VINCI Autoroutes, au détriment de la santé des Strasbourgeois, et sans améliorer significativement leurs conditions de circulation.”
“Si je bosse ici, ça n’est pas par conviction, de toute façon on ne me pose pas la question à moi. Je vais là où il y a du travail. Ici, on est bien payé. En additionnant le salaire avec les primes, je gagne environ 4500 euros par mois, donc pour moi c’est avantageux,” conclut Jérémy.
C’est sur pour 45oo euros par mois, on s’assied sur la morale et on a pas de regrets.