C’est le printemps, le renouveau, le recommencement d’un cycle. Une page blanche à remplir de nouvelles bonnes idées à implanter en nous durablement. Grâce au confinement, on s’écoute peut-être un peu plus, on tend l’oreille et la main à son voisin, à notre famille. On pense à ce qui était, à ce qui sera. Et au milieu de tout cela il y a nos aînés, nos parents, nos grands-parents, à qui nous n’avons jamais autant pensé. Eux, ils en ont connu des printemps : ils ont parfois vécu la guerre, parfois non. Ils ont parfois eu la vie dure, parfois pas du tout. Mais quelle que soit leur vie présente, leur vie passée et leur destination finale, ils auront toujours quelque chose à nous raconter. Aujourd’hui nous voulions simplement penser à eux en affichant leurs petites histoires de confinement. Des échanges, de petits conseils, de petits sourires dont il est bon de se gaver sans aucune modération.
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Célia et sa mamie, Pilar, 97 ans
Célia Henry a 25 ans, elle est étudiante en dernière année à l’EM Strasbourg. À l’annonce du confinement, elle a longuement hésité entre rester dans son studio de la Krutenau ou rentrer rejoindre sa famille. Mais après réflexion, Célia s’est finalement décidée à rentrer auprès de sa grand-mère, avec qui elle a un rapport très fusionnel. Alors, après avoir attendu 14 jours pour éloigner les doutes d’une contamination, elle décide d’emménager avec Pilar, 97 ans. Une collocation pas comme les autres.
Chez Pilar, il y a toujours eu de l’excitation à la maison. Du coup, cette grande dame souffrait un peu de la solitude avant que sa petite-fille arrive. Alors, même si elle sait se débrouiller, Célia s’occupe d’elle. Ensemble, elles discutent, s’amusent, échangent. Un rapport complice entre une petite-fille et sa “abuelita” chérie (Mamie en espagnol).
Selon Célia, la collocation avec sa petite mamie se passe très bien. Pilar a l’air de vivre sa meilleure vie. Elle adore sentir la présence de sa petite-fille. En fait, elle a un peu l’impression d’être en vacances puisqu’elle est le plus souvent seule chez elle. La coloc pour elle, c’est la colo. Son quotidien est donc un peu plus rempli. Elles ont même leurs petits rendez-vous à heures fixes, pour structurer leur journée et se serrer les coudes.
Le matin, c’est petit massage pour garder la forme, soulager les douleurs et les articulations de la grande dame. Célia prend soin d’elle, avec coquetterie. L’âge ne lui fera jamais oublier le peigne et les bigoudis. Ensuite, Célia travaille sur son bureau aménagé pendant que Pilar s’habille. Encore une petite lessive, on prend soin des plantes et il est déjà midi. C’est l’heure de manger, un moment très attendu, une heure privilégiée, chacune à son poste. Et puis en Espagne on ne déconne pas avec les fideos et les tortillas, et apparemment, pas non plus avec les madeleines.
Et puis quand ce n’est plus l’heure de manger, et comme l’âge de madame ne lui permet plus de sortir, Célia lui change les idées. Elles jouent aux cartes et parient même de l’argent pour faire monter le suspens. Sauf que la plupart du temps Célia prend une raclée. Alors elles dessinent, ou se plongent avec émotion dans les photos de famille. Elles se racontent leurs jeunesses, qui se sont déroulées à 70 ans d’intervalle.
À ce moment là, l’après-midi est déjà bien grignotée, l’apéro peut commencer. C’est le printemps, le soleil, le petit jaune ou le ballon de rouge… Perdre le nord et oublier les bonnes habitudes estivales ? Jamais.
Alors c’est le bal des olives vertes et du vin rouge… Un petit jeu de cartes par-dessus tout ça et les histoires surgissent naturellement. Pilar s’exprime alors pendant des heures et y prend du plaisir. Quelque temps plus tard, lorsque le soleil est presque à l’horizon et que les rayons transpercent l’appartement, France 3 et France 2 ouvrent la case horaire dédiée aux jeux. Question pour un Champion ? Facile, elle s’est imaginé plusieurs fois faire un “quatre à la suite”. Célia connaît désormais la mécanique des jeux télé sur le bout des doigts, elle observe et s’en amuse.
20h, c’est l’heure de faire du bruit aux fenêtres. Sa petite fille lui a même aménagé un espace cosy pour qu’ensemble, elles puissent prendre le soleil et s’enivrer des premiers rayons chauds.
Célia a fait le bon choix de s’installer avec Pilar, elle profite de cette nouvelle vie, finalement plus enrichissante que subie. Leur cohabitation la fait d’ailleurs sourire : avec plus de 7 décennies d’écart elles vivent confinées dans la bonne humeur, main dans la main. En fait, elle prend le confinement comme une réelle opportunité, une chance de vivre à ses côtés.
Au début de la crise, dame Pilar ne se rendait pas vraiment compte de l’importance et de la gravité de la pandémie. Mais elle a désormais compris la dangerosité du virus. Elle n’a jamais connu ça de sa vie, mais la fermeture des écoles lui rappelle son adolescence. Quand elle avait 13 ans, en 1936, les écoles aussi avaient fermé, mais à cause de la guerre civile en Espagne et la dictature de Franco.
Pilar n’a pas peur, mais elle fait attention. Elle espère que la situation va s’améliorer mais elle semble inquiète à l’idée de voir Célia partir. Ce qui lui manque le plus, c’est de pouvoir sortir et manger en famille le dimanche. Elle souhaite aussi pouvoir aller marcher, prendre l’air. Elle trouve amusant de pouvoir aller faire ses courses et se balader comme bon lui semble. Selon elle, il faut garder espoir, la situation va s’améliorer. Elle prie pour cela. Son rêve, c’est de pouvoir partir un week-end en Normandie cet été, pour fêter son anniversaire. Elle espère pouvoir le faire en famille, avec ses 4 petits enfants.
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Arnaud et ses grands-parents, Annie et Daniel
Annie et Daniel vivent du côté de La Montagne verte. Il y a quelques semaines, Arnaud, leur petit-fils, leur a passé un coup de fil pour prendre des nouvelles. Les deux septuagénaires semblaient souffrir de l’isolement. Alors Arnaud a eu une idée pour leur redonner le sourire.
Lors d’un coup de fil habituel, Arnaud apprend que ses grands-parents dépriment. Ils broient du noir car ils n’ont plus de quoi lire. Et la lecture chez eux, c’est un fil conducteur, le fil d’Ariane de leur journée. Avant, tout deux avaient l’habitude d’aller à la bibliothèque pour découvrir de nouveaux livres ou relire les grands classiques, mais avec le confinement, tout s’est effondré.
Il fallait faire quelque chose pour eux. Arnaud décide alors de poster un message sur le groupe Facebook « Tousse Ensemble Strasbourg » pour demander si des personnes pouvaient lui prêter ou donner des livres d’occasion. À sa grande surprise, il reçoit beaucoup de réponses de Strasbourgeois, qui proposent des dons de livres, par solidarité ! Alors, après avoir attendu que les ouvrages soient décontaminés, il est allé leur rendre visite pour leur offrir.
Le confinement n’est pas facile pour eux, mais quel plaisir de voir ces sacs pleins de petites attentions. Ils étaient non seulement heureux de voir leur petit fils Arnaud accompagné de sa femme, mais également d’avoir de quoi lire pour les deux prochaines années. Il y avait même un mot et un dessin d’une petite fille, qui leur souhaitait bonne lecture. Ces manifestations de soutien et de tendresse leur ont redonné le sourire.
Annie et Daniel vont bien, même si les jours se ressemblent et que chaque matin, forcément, l’heure n’est pas à la grosse teuf. Néanmoins, tout deux commencent à s’habituer au confinement et heureusement, ils lisent, encore et encore. Pas étonnant qu’ils dévorent les ouvrages, Arnaud est tombé à pic. Leur conseil est donc de se plonger dans les livres pour s’évader un peu.
“Tu prends un bouquin, ça t’aère un peu l’esprit. Si le livre est bien, au moins, tu ne penses pas tout le temps « mince si seulement je pouvais sortir ». Ni plus ni moins. Je sais que pour vous les jeunes, c’est beaucoup plus difficile.”
Daniel est bien conscient que pour les jeunes, plus que pour eux, le confinement est difficile et que nous sommes plus à l’aise parmi nos amis, nos collègues. Annie est très reconnaissante pour les livres que les abonnés de “Tousse Ensemble” lui ont donné, elle se sent gâtée. Lorsqu’elle les aura fini, elle les redistribuera à ceux qui n’auront plus rien à lire.
“En ces temps incertains, nous raconte Arnaud, une petite action peut faire la différence : un appel à quelqu’un pour prendre des nouvelles, pour savoir ce dont il / elle manque… un don, un partage, un dessin. Osez demander, sur les réseaux ou à vos voisins (de loin) ce qu’il manque à leur équilibre. N’hésitez plus : il est venu le temps de la solidarité !”
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Charlotte et sa grand-mère, Louise 97 ans
Charlotte habite à Paris, elle contacte le plus souvent possible les membres de sa famille qui vivent aux quatre coins de la France. Les appels visio les rassemblent. Cet outil leur permet de prendre des nouvelles d’ailleurs, il brise la distance, avec le son et l’image.
Lorsque Charlotte demande à sa grand-mère si tout va bien, elle répond “Couci-couça, comme une vieille que je suis”. À son âge, elle ne sort plus. Alors son quotidien ne change pas des masses. Ce qui lui manque le plus, c’est de discuter avec les gens.
“Avant, on venait me rendre visite tous les jours. Maintenant, je ne vois plus que l’infirmier qui me lave le matin et ta tante qui s’occupe de moi. Après c’est tout, elle a interdit à tout le monde de venir. On reste toutes les deux. Elle met le masque car elle a peur de me contaminer, mais moi de toute façon, je ne ferai pas de vieux os.”
Son conseil, changer de point de vue. Louise considère que tout cela, c’est dans la tête. Certes nous ne pouvons plus aller dans un bar ou voir nos amis, mais nous pouvons aller faire les courses ou marcher un peu, une chance qu’elle n’a plus. Elle se sent confinée dans son corps, se traîne un peu, mais nous jeunes fougueux avons la vie devant nous, nous pouvons nous aérer le corps autant que l’esprit. Alors le temps du confinement est aussi le temps de la réflexion, du questionnement intérieur :
“Prenez du temps pour penser à qui vous êtes, ce que vous voulez vraiment. Posez-vous la question : suis-je heureux en amour, en amitié, dans le travail ? Comment puis-je m’améliorer ? Que dois-je changer pour être plus en accord avec moi-même ? Qui voulez-vous être dans 10, 20, 30 ans ?
Pour elle, il est temps de ralentir. De prendre du temps pour soi. Un temps qui file trop vite de nos jours. On court, tout le temps, on se presse beaucoup trop. Mais Louise nous chuchote à l’oreille qu’il est temps de marquer le pas, de choisir son but et de prendre la bonne direction. Mais même si nous devons aller de l’avant, il faut se souvenir de ces moments pour en tirer les bonnes leçons :
“Vous allez toute votre vie vous souvenir de cette période où vous étiez limités pour profiter encore plus de la vie après. Allez ça va vite passer, c’est pas la guerre non plus hein !”.
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Bastien, sa maman Michèle et ses grands-parents, Jeanne et Charles, 178 ans à eux deux
Jeanne et Charles habitent à quelques kilomètres de Strasbourg, dans une vieille maison bordée d’un jardin et d’un potager qui les a nourrit presque toute leur vie. Nés dans les années 30, ils fêteront cet été leurs 66 ans de mariage. Et même si leurs jours ne sont pas toujours faciles, ils restent complices, soudés. Malicieux, toujours friands de sortir la petite vanne qui fera rire tout le monde, ils acceptent la situation. Parfois-même ils en rient, simplement pour ne pas baisser les bras. Et puis des épreuves ils en ont subi, alors ils relativisent et nous partagent leurs petits moments de vie.
Le jeune couple va bien. Même si selon Charles, chacun a le droit de vivre son confinement différemment et de laisser à sa guise le choix de ses sentiments. Mais eux sont au top. Approchant non plus d’un certain âge mais d’un âge certain, ils profitent de leur grande maison, de leur grand jardin, qui, par cette période leur offre un joli spectacle. Ils considèrent qu’ils sont chanceux, et ils ont l’air d’être heureux.
Ils s’occupent avec un peu de ménage, la popote et quelques petites bricoles, le journal et la télé, mais les jours ne sont pas tous doux et ensoleillés.
“Lorsque ça va mal, nous essayons d’apaiser la situation en fredonnant de vieilles chansons d’avant-guerre et pourquoi pas, un petit câlin.”
Mais l’exceptionnel beau temps, est pour eux un “cadeau de Dieu“, il leur permet de goûter aux bienfaits de la nature. Et puis à 17h45 précise, c’est l’heure “du C en l’air” (C dans l’Air sur France 5), un rendez-vous d’actualité à ne surtout pas manquer.
Lorsqu’on demande à Charles ce qui leur manque le plus, celui-ci répond qu’ils ne manquent de rien. Et si jamais quelque chose venait à manquer, de toute façon, ils ne le diraient pas, question de fierté, de pudeur peut-être. Leurs enfants et petits enfants ont suivi la tendance de l’appel visio, alors même si Charles parlait au départ sans activer le son, il a pu voir et entendre ceux qu’il chérit le plus au monde : les membres de sa tribu.
Aussi, l’amitié et la solidarité entre voisins se renforcent, on s’occupe d’eux. Et cette période trouble leur donne aussi l’occasion d’apprécier chaque instant. Des instants qui auront encore plus de saveur après ce qu’il considère être un tsunami.
Charles avait tout de même un petit message à adresser directement à ses proches :
“Enfants, petits enfants et proches, nous vous demandons de ne pas trop vous soucier de nous. Bien que nous aimerions vous voir et vous embrasser, nous vous disons : n’ayez pas peur, prenez soin de vous. Cela est peut-être un temps de “suspens” vous permettant de mieux rebondir par la suite. Allons…courage, et à bientôt.
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David et sa grand-mère Ute, 81 ans
Désormais à la retraite, Ute était documentaliste au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) à Geispolsheim. Elle souhaitait nous partager un bout de son journal de bord : un extrait d’une conversation avec son petit fils David qui l’a questionne sur son humeur du jour :
Lorsque David demande à la jeune Ute comment elle va, sa réponse est directe, courte. “Ça va“. Mais lorsque celui-ci lui demande d’en dire un peu plus, elle lui raconte sa journée, ses petites péripéties. Salima, son aide à domicile prend soin d’elle, et en journée sa fille passe parfois prendre le thé, mais dans le couloir, par mesure de sécurité. Elle commence à s’habituer à cette situation. Ute y trouve même un certain “amusement”, car cette pandémie bouscule son quotidien.
Ce qui lui manque le plus, c’est de marcher comme avant. Et le thé, car ceux qui le partagent généralement avec elle, se sont éloignés. Mais Ute a le sourire, notamment lorsqu’elle lit le journal de confinement de son petit-fils. Ensemble, ils jouent avec les mots, détournent leur sens, en créent de nouveaux.
Tous les deux s’amusent du fait de ne plus pouvoir choisir d’être casaniers, ils aiment avoir le choix, mais ils ne l’ont plus.
“Tu sais, le confinement ressemble assez à ma vie de tous les jours. De temps en temps, quelqu’un vient me voir, mais c’est assez rare… La différence avec avant c’est que désormais nous n’avons plus le choix, nous devons être casaniers”.
La première chose qu’elle fera quand le confinement sera levé, c’est de s’acheter un énorme bouquet de fleurs. Des tulipes. Les anémones, c’est fini. Elle prendra quelque chose de coloré. Mais ce qui lui manque le plus, c’est bien évidemment sa famille, regroupée à la table de l’un de ses restaurants favori.
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Jules et ses grands-parents, Évelyne et Jean-Pierre
Evelyne et JP, les deux septuagénaires sont en pleine forme. Complices et décidément rieurs, ils vivent leur confinement au soleil et en profitent pour aiguiser leurs petites blagues. Des vannes qu’ils envoient parfois à leur petit-fils Jules, qui n’est pas le dernier des déconneurs.
Eux ont simplement voulu nous envoyer un petit florilège de petites blagues fraichement concoctées :
- Imaginez les jeunes : le confinement sans tablette, ordi, smartphone, DVD, Messenger, Facebook, Wi-Fi, télé !
Nous on avait que la BBC et ses messages en Morse !
- Mamy tu as fini de coudre les masques ?
- Oui, ce soir à la maison c’est bal masqué !!!
- Dis Papy tu as mis où les condiments ?
- Comment ! Le confinement est fini ! Chic ! je vais mettre mon dentier et ma perruque pour sortir !
- Mais JP ! Tu me fais chier ! 54 ans de mariage + 3 mois de confinement ça use ! Je demande le divorce !
- JP : ça a du bon le confinement !
Prenez soin de vous et vivez vos rêves.
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Voici ce que Charles, Jeanne, Evelyne, Jean-Pierre, Louise, Ute, Pilar, Daniel et Annie avaient à nous raconter. Comme nous, ils sont tous isolés quelque part. Ils pensent à leurs enfants, leurs petits-enfants et nous, nous pensons plus que jamais à eux. Prenez soin de vous et de vos familles. On a hâte de pouvoir les retrouver.