Ces derniers mois, plusieurs squats ont ouvert dans l’Eurométropole : l’Hôtel de la rue situé route des Romains à Koenigshoffen en juillet dernier et le squat Bugatti en septembre, rue Ettore Bugatti à Eckbolsheim. D’abord soutenus par un fort élan de solidarité de la part des associations locales, la situation semble s’être largement dégradée depuis décembre.
Sans-abris fatigués d’arpenter les rues strasbourgeoises pour trouver un endroit où dormir, demandeurs d’asile, déboutés, au total plus de 500 personnes sont aujourd’hui réunies à l’Hôtel de la rue et au squat Bugatti. Le premier est dirigé par un certain «Edson» et le second par «Lahcen». Des membres d’associations témoignent de risques sanitaires, de menaces, d’intimidations, d’expulsions arbitraires, d’isolement des résidents, de fichage et craignent qu’un drame se produise.
De nombreux bénévoles ont déserté les lieux
Imène, membre de La Passerelle du Bonheur, est ainsi intervenue sur les deux sites. Elle explique être aujourd’hui une des dernières représentantes d’association à venir encore au Bugatti, ses collègues ayant renoncé à cause du comportement de Lahcen. « Aujourd’hui, c’est un désert associatif, plus personne n’intervient », dit-elle. « On a des personnes livrées à elles-mêmes sous la direction de deux gérants auto-proclamés et plus aucune association qui ne vient les aider. » Hélène, membre du Wagon Souk, fait le même constat pour l’Hôtel de la rue. Si son association organisait des permanences psychologiques sociales et administratives, ainsi que des activités culturelles à destination des résidents, elle affirme que tout ceci est désormais fini. « Edson a fait croire aux habitants que des descentes de police avaient lieu chez nous. Puis, il nous a interdit de revenir. » Une plainte a été déposée par un membre de l’association Strasbourg Action solidarité, qui témoigne avoir été menacé de mort par le responsable du Bugatti. Imène a également déposé plainte, pour des motifs similaires. Et pour Catherine et Sabine, chacune membre d’une association différente, il n’est plus question de se rendre seules sur les squats « Quand j’y suis, j’ai la boule au ventre », explique Sabine. « Quand Lahcen a pris la responsabilité du site, tout le monde est parti. »
Lahcen reconnaît qu’un « noyau de personnes est parti » Mais que ce sont les résidents eux-mêmes qui l’ont décidé. Il dénonce la volonté de certains bénévoles à vouloir contourner son fonctionnement, notamment en organisant une réunion sans son accord ou en prévoyant une distribution de nourriture en dehors du bureau. Quant à Edson, il estime qu’il y a toujours autant d’associations. Une vingtaine d’organismes interviennent encore selon lui. Face aux accusations et aux reproches qui sont exprimés sur ses décisions, il se défend : «Moi je n’ai strictement rien à gagner, ça fait 5000 heures que je ne dors pas, que je me bats. On est des riens qui avons fait beaucoup. Personne n’est interdit d’accès sauf ceux qui veulent profiter, s’imposer et faire leur fonctionnement à eux et ne pas respecter le règlement mis en place par les résidents qui vivent réellement l’aventure de l’Hôtel de la rue. »
Deux squats, deux chefs.
Si l’autorité d’Edson et de Lahcen est contestée par certaines associations, les deux affirment pourtant avoir été choisis par les résidents eux-mêmes. « On dit que je suis impulsif, c’est vrai », avoue Lahcen, le chef du Bugatti. « Mais les fois où j’ai élevé la voix c’est parce que c’était dégueulasse ou qu’il y avait des bagarres. C’est les résidents qui m’ont choisi. Et ils m’ont dit de gérer le squat. Pourquoi ? Parce que j’étais là depuis le début avec eux et je suis toujours resté là pour les aider. »
Mais certains témoignages de résidents donnent un autre son de cloche. « Personne ne lui a dit qu’il était le chef », assure par exemple Mehdi qui affirme également que Lahcen discrimine certains sans-abris. « L’autre jour il a donné de la nourriture aux Georgiens mais a refusé d’en donner aux Africains !» « Avant, il était dehors, dans une tente à côté de la mienne et maintenant, il fait le président dans son bureau. Alors que personne ne lui a dit qu’on était d’accord ! », confirme Omar qui dit s’être vu refuser l’accès au don. Marianne, enfermée à clef dans sa chambre, craint pour sa part des représailles si on la voit trop discuter avec les bénévoles. « Quand vous venez comme ça là, j’espère que ça n’aura pas une répercussion sur nous autres… Il ne faut pas qu’après il me demande de sortir d’ici sinon je ne saurais pas où aller. Il dit qu’il est le chef et il n’y a qu’à lui qu’on doit s’adresser quand on a un problème. »
Et la situation sanitaire devient préoccupante au Bugatti selon Imène, notamment car beaucoup n’ont pas accès à des douches. C’est le cas de Marianne, qui se lave dans les toilettes, avec une éponge. « Il y a des punaises, tout le monde a des boutons », affirme Mehdi. « Les enfants aussi sont couverts de piqûres. » Et si la plupart dorment dans des chambres cloisonnées et avec une porte, d’autres vivent dans des espaces délimités par de simples bâches accrochées au plafond. Enfin, le stock de denrées se réduit de jour en jour, seul du pain et quelques conserves sont disposées dans le local du rez-de-chaussée.
Du côté de l’Hôtel de la rue plusieurs ex-résidents parlent même d’un fichage où les occupants sont référencés et classés en trois catégories : les personnes en accord avec la direction donc la Roue Tourne en blanc, celles avec des problèmes à surveiller en gris, et enfin celles qui ont posé des problèmes qui ne peuvent plus dormir à l’Hôtel de la Rue, en noir.
« La liste que les gens signent tous les jours répertorie simplement les malades, les non-malades, et celles qui ont eu un avertissement », répond Edson, le responsable. Mais Sam*, un ancien résident, affirme bien avoir découvert un beau jour son nom en noir avant qu’on ne lui demande de partir, sans explications. « Ils ont appelé la police pour me faire sortir de l’hôtel et quand les policiers sont arrivés, j’ai voulu m’expliquer mais ils ont répondu qu’ils n’avaient pas besoin de mes explications et qu’il fallait que je sorte. » Une dizaine d’autres résidents auraient été expulsés de la même manière. Des expulsions qui se justifieraient par des tentatives de viol, des menaces ou des dégradations des chambres selon Edson, qui estime qu’il n’y en a pas eu plus de cinq.
L’Eurométropole et la ville responsables ?
« On joue avec le feu, si on en fait rien, cela va éclater », alerte Imène. « Le jour où on devra cibler les coupables il ne faudra pas se tromper : c’est la municipalité qui a laissé faire. Le fait de dénoncer ce qu’il s’y passe, ce n’est pas à charge contre les personnes qui se sont positionnées en tant que chefs. Évidemment, du jour au lendemain ils ont un rôle important qu’ils ne devraient pas avoir et un fort besoin de reconnaissance donc ça ne peut que mal finir. C’est simplement qu’ils n’ont pas la formation, ni les compétences, ni la logistique pour réussir à faire fonctionner tout ça. La mairie et l’Etat ont laissé faire, mais c’est un métier, ça ne s’improvise pas. » Pour Hélène aussi, il faudrait que les élus prennent la mesure de l’urgence. Car même s’ils ont maintenant un toit, elle estime que cette situation particulière invisibilise davantage les résidents « Maintenant plus aucune asso ne peut leur venir en aide car la priorité est à ceux qui sont dehors dans la rue ! C’est comme cela que ça fonctionne. Donc en fait on ne voit plus ces gens et on ne sait même plus qu’ils existent. »
Du côté des résidents, Marianne avoue avoir peur qu’avec tout ce mouvement, la fermeture du squat soit précipitée et qu’elle doive retourner à la rue. Elle assure que si la moindre solution lui était proposée, elle quitterait le squat. Selon Mehdi, il faut établir des règles collectivement, avec tous les habitants : « Il faut que personne ne reste dans le bureau en bas, Lahcen n’a qu’à prendre une chambre comme tout le monde. Et que s’il ne respecte pas les règles établies, il parte. » Enfin pour Omar, si Lahcen veut rester, il faut qu’il aide tout le monde et que les associations puissent revenir. « On aimerait lancer un appel aux associations pour qu’on puisse recréer cette énergie du départ et intervenir ensemble. Aujourd’hui, Strasbourg regorge d’associations dans le domaine de la solidarité, donc on veut les voir aux squats ! » interpelle Imène.
Vice-président de l’Eurométropole de Strasbourg en charge de l’habitat et de la gestion du dispositif d’hébergement d’urgence, Syamak Agha Babaei estime qu’à partir du moment où les pouvoirs publics ne font rien, une autre forme d’autorité remplit naturellement le vide, avec ses défauts et ses risques. Après avoir porté le sujet à plusieurs reprises aux Conseils municipal et métropolitain sans résultats, il doute fortement que le maire ou le président de l’Eurométropole ne changent d’avis et interviennent avant les élections en mars prochain. Pour lui, il faut absolument négocier une convention avec une mise à disposition temporaire des lieux par la ville. Mais pas seulement : « Il faut que in fine, on puisse reloger tout le monde de manière digne et y adosser un projet social, culturel et d’insertion, il n’y a pas mille autres solutions. »
* Tous les prénoms des anciens et actuels résidents des squats interrogés ont été modifiés.
Vrais problèmes mais l’article me dérange par un certain voyeurisme. Il en va de la vie privée des gens.
Je suis particulièrement énervée par la photo de la liste seulement partiellement anonymisée. Est-ce que ça suffit pas de dire que vous avez pu consulter un tel document et le décrire ?
J’aimerais que la rédaction de Pokaa m’explique ce choix.