Depuis maintenant quatorze ans, l’héliodome de Cosswiller se fait pionnier d’une nouvelle façon de penser le logement, en accord avec notre époque. À l’heure des bouleversements climatiques et des tension liées aux ressources énergétiques, cette innovation architecturale made in Elsass pourrait bien être l’habitation de son temps. Et si, par son adaptation à la trajectoire du soleil, l’héliodome était amené à dessiner l’architecture du futur ?
Du côté de Cosswiller, il existe une drôle de maison que l’on peut apercevoir entre deux corps de ferme. On pourrait d’abord presque croire à un vaisseau extraterrestre qui, après un créneau mal négocié, se serait encastré au beau milieu de la campagne alsacienne.
Si l’apparence du bâti peut d’abord interpeller, on est pourtant bien loin d’une simple excentricité architecturale sortie de l’imagination d’un original. L’héliodome, car c’est son nom, est en fait perçu par beaucoup comme l’habitation du futur ; on l’évoque parfois comme une solution aux enjeux énergétiques qui pèsent sur nos logements. Ce drôle de bâtiment, c’est finalement son inventeur qui en parle le mieux.
« Je n’ai rien inventé, j’ai juste réexprimé des choses »
D’abord ébéniste, meilleur ouvrier de France à vingt-cinq ans, Eric Wasser se spécialise ensuite dans le design. S’il crée surtout des meubles, une idée ne quitte pas son esprit, et ce depuis des années : développer une habitation qui soit pensée selon le rythme du soleil. Une idée en apparence si abstraite qu’il prendra des années à réussir à la visualiser puis à la concrétiser.
« Mon épouse vous dira, lorsqu’on s’est rencontrés, c’est la première chose dont je lui ai parlé. Ça n’existait pas, donc on se retrouve à tourner longtemps autour d’une idée et on cherche » … et pourtant : le principe d’allier architecture et trajectoire du soleil est vieux comme le monde.
De ses cours d’histoire de l’art qu’il suit alors qu’il est tout jeunot, Eric Wasser retient que de tous temps, toutes les cultures, les civilisations ont orienté leurs bâtiments selon le rythme du soleil.
Ensembles mégalithiques, cités grecques puis romaines : « Ces civilisations-là utilisaient leurs connaissances à partir de ce que la nature leur apportait. Je suis un vieux ringard, vous savez : je n’ai rien inventé, j’ai juste réexprimé des choses. »
Tandis que la tendance générale est d’intégrer le soleil sous le prisme du progrès technologique –par le biais de panneaux solaires par exemple-, Eric Wasser se met en tête de lui donner toute sa place dans l’architecture par la géométrie : « Trop souvent, on a tendance à voir le soleil comme un point fixe dans le ciel, alors que non : j’ai voulu prendre en compte sa trajectoire ».
En 1998, une première ébauche de l’héliodome se dessine sous la forme d’une cocotte en papier. Petit à petit, ce qui était idée abstraite se concrétise, elle prend forme. En 2003, son projet lui vaut le premier prix au concours Lépine, puis en 2011, le premier héliodome est achevé à Cosswiller.
« En été, mon bâtiment est lumineux mais reste à l’ombre »
Le fonctionnement est aussi simple sur le papier qu’il peut paraitre complexe pour qui n’excellait pas en cours de géométrie. En fait, l’héliodome repose sur deux éléments principaux ; un toit pour protéger du soleil, et une vaste façade vitrée pour happer les rayons de ce dernier et ainsi profiter de sa chaleur naturelle et de sa luminosité. Pour le reste, tout se joue dans l’inclinaison !
En été, mon bâtiment est lumineux mais reste à l’ombre. Le soleil se lève au nord-est, monte très haut et se couche au nord-ouest. Il tangente la façade mais ne pénètre pas dans le volume.
À l’automne et au printemps, la trajectoire du soleil suit l’arête. Enfin en hiver, lorsque le soleil est bas, il remplit tout le volume. Le moindre rayon de soleil va alors venir chauffer le bâtiment.
C’est simple comme bonjour, c’est naturel, mais est-ce efficace ? Si Eric Wasser reconnait que le climat alsacien n’est pas des plus faciles –notamment du fait du brouillard hivernal-, il peut se vanter de réaliser entre soixante et quatre-vingt pourcent d’économie d’énergie chaque hiver. Lorsque le temps est rude, un poêle à bois finit le travail.
Et en été, pendant que l’on est rouge et suant face à nos ventilateurs, Eric Wasser profite d’une fraicheur non négligeable (garantie sans clim, bien sûr) : les 200 m2 de l’habitation n’excède généralement pas les vingt-trois à vingt-quatre degrés… même en cas de forte chaleur.
« Les belles idées finissent toujours par se développer »
Et l’héliodome a fait des petits ! On compte désormais une dizaine de bâtiments similaires et cinq sont actuellement en projet. Bien sûr, tout cela prend du temps : « On ne fait rien du jour au lendemain. Mais tout ce dont je suis convaincu, c’est que les belles idées finissent toujours par se développer ».
C’est suite à la médiatisation que Eric Wasser a vu les demandes augmenter. Et le concept ne se limite pas à des maisons individuelles comme la sienne : « Un jour on construira un immeuble. À partir de là, on en fera d’autres »
Parmi ceux qui ont vu en l’héliodome une opportunité de repenser l’architecture en direction de l’avenir, on compte Adrien Zeller. L’homme politique, à la tête de la région de 1996 à 2009, avait foi en l’héliodome : « Il avait une vision pour Strasbourg, disait qu’il fallait créer un nouveau centre-ville le long du Rhin. L’héliodome aurait eu toute sa place dans le projet ».
Il pousse l’inventeur à finaliser son premier héliodome à Cosswiller. Et des réunions ont lieu avec les voisins allemands ; Eric Wasser y prend part. Au décès d’Adrien Zeller, l’idée s’estompe : « La fin d’une vision de long terme, au profit d’une idée économique à très court terme ».
Eric Wasser demeure convaincu que l’héliodome aura un rôle à jouer à l’avenir. Non pas en se démultipliant sur un exact même modèle, mais en tant qu’idée qui a une place toute particulière à se faire dans la façon de penser l’architecture du futur : « L’héliodome c’est un tout. On parle de la nature, de l’envie de se raccorder à elle »
L’architecture est toujours l’expression du mode de vie d’une époque. Si demain on construit des bâtiments en accord avec la nature, ça voudra dire que l’homme a compris et qu’il remet la nature au centre de ses préoccupations. Cela serait génial.