L’association Le Phare du Rhin a été créée au printemps dernier. Ses bénévoles dispensent depuis plusieurs mois des cours de français à des personnes issues de migrations et ayant besoin d’acquérir les bases de notre langue et ce, sans aucune distinction de statut. Ils sont aujourd’hui 22 à en profiter et l’association compte bien s’agrandir dans les mois à venir.
“Ça veut dire quoi égoïste ?”. Dans la petite salle aux murs blanc et gris du centre Bernanos, ils sont six attablés, le nez plongé dans une feuille d’exercice. La prononciation du mot “ambitieux” donne du fil à retordre à certains. Tous sont ici dans le cadre des cours de français proposés par la jeune association Le Phare du Rhin. “Ils et elles ont un niveau de français entre A0 et A2”, explique Pauliana, coordinatrice de projets associatifs et membre de l’équipe de gestion de l’association. Exilés du pays où ils ont grandi et débuté leur vie, ils viennent apprendre ici les bases d’une langue qu’ils ne connaissaient pas encore il y a quelques mois. “L’objectif c’est juste qu’ils et elles progressent et aient les outils pour s’exprimer au quotidien : prendre le bus, aller à l’hôtel, au supermarché…”, précise Pauliana.
Le Phare du Rhin, c’est une lumière dans le brouillard de cette nouvelle langue mais aussi de cette nouvelle vie qu’ils entament à Strasbourg. L’association a vu le jour au printemps dernier grâce à la motivation de Strasbourgeois confinés, portés par une puissante envie de venir en aide à ces âmes migrantes. “Je crois que l’apprentissage de la langue est un aspect dont on ne parle pas trop, c’est un aspect moins visible que lorsque les besoins primaires ne sont pas satisfaits. Des cours de français ce n’est pas nouveau, il y en a déjà. Mais, il y beaucoup de demandes donc les délais sont longs. Les autres structures nous ont fait part de ce besoin”, réfléchit Pauliana.
L’envie de réussir
Après quelques mois à imaginer les contours de l’association puis construire son projet pédagogique, les premiers cours ont pu être dispensés mi-juin. Actuellement, deux groupes, l’un de 10 personnes, l’autre de 12, assistent trois fois par semaine à des cours d’1h30. Les cours du premier ont lieu en fin de journée, ceux du second plutôt le matin, afin de s’adapter aux différents besoins. “ On sait, par expérience, que quand on ouvre des cours ou une activité en soirée, très souvent les mères de familles ne viennent pas, par exemple ”, détaille Pauliana. Après un mois et demi de cours, les progrès sont bel et bien présents, selon Tiên, leur enseignante du jour. “On voit leur progression, ça fait plaisir. Ils et elles travaillent chez eux, se trouvent des exercices. Ils et elles ont vraiment envie de réussir”, estime-t-elle.
Cette étudiante en architecture et ingénierie à l’INSA, s’est portée volontaire pour accompagner, une fois par semaine, l’un des groupes d’apprenants. “Je me suis un peu retrouvée, parce que je suis arrivée du Viêtnam à 8 ans et je ne parlais pas du tout français. Je me rappelle que c’était dur au début, le fait de rien comprendre quand il y a plein de gens qui parlent autour de toi. Pourtant tu n’es pas bête. Je connais ce sentiment d’injustice et d’incompréhension.”
Tandis que le cours avance, les adjectifs se multiplient sur le grand tableau blanc éclairé de la dure lumière du néon qui le surplombe. Tiên inscrit méthodiquement le vocabulaire, distinguant sa forme féminine et masculine. Outre les notes qu’ils s’appliquent à prendre dans leurs cahiers, certains apprenants sortent parfois le téléphone pour photographier le tableau. Parmi eux se trouve Ameen, installé au premier rang et toujours volontaire pour participer. “Vous êtes journaliste ? ”, s’enquiert-il. “Avant moi aussi j’étais journaliste, au Yémen. Maintenant, je suis étudiant”, sourit-il, une lueur d’optimisme dans le regard, loin de toute résignation.
Une troisième classe et des projets
Si Ameen se confie spontanément sur son histoire, les membres de l’association ne savent presque rien du parcours des apprenants.
“Les statuts, les demandes, qu’ils et elles soient demandeurs d’asile ou autre, ça concerne les institutions publiques et l’administration. Pas nous. Nous, ce qui nous intéresse c’est que ces personnes ont besoin d’apprendre le français parce qu’elles ont des démarches à faire et un besoin social, comme tout être humain. On n’a pas voulu faire de discrimination de ce type-là”, détaille Pauliana. Seuls le nom, la nationalité et l’âge sont demandés à titre indicatif et restent confidentiels. “Je peux dire que la moyenne d’âge est de 39 ans, que ça va de 16 ans à une cinquantaine d’années.”
Une pause estivale attend enseignants et apprenants, pendant tout le mois d’août. À la rentrée, l’association ouvrira une troisième classe, déjà complète (aucune inscription sur liste d’attente n’est possible désormais). Et c’est loin d’être son seul projet. “On voudrait ouvrir des classes dans des structures qui nous accueillent pour donner des cours à leurs bénéficiaires. Dans un futur un peu plus lointain on pense aussi à un projet de permanence d’aide administrative. On a également un projet de tandem où on mettrait en contact une personne locale et une nouvelle arrivante, en fonction de leurs intérêts communs, pour faire des activités ensemble. Enfin, on réfléchit à un projet d’accès à la culture, avec des échanges autour de la création artistique“, conclut Pauliana, pleine d’engouement.