Quel est le point commun entre un écrivain raté, à la libido disparue, embarqué dans un stage d’écriture où tout le monde ne pense qu’au sexe, une octogénaire décidée à s’envoyer en l’air avec tous les hommes qui convoitent sa fortune pour connaître son premier orgasme, et un militaire fraîchement revenu de mission qui découvre que sa compagne a été enlevée par des terroristes menaçant de la faire exploser avec un gode piégé ? Tous sont des personnages de « contes pour adultes » dans Premier jet, recueil érotique publié aux éditions mulhousiennes Médiapop. Nous avons posé quelques questions à leur auteur, Nicolas Decoud.
Premier jet est votre second livre. Le premier, L’école de rame, était un récit sarcastique de votre expérience dans l’armée. Comment êtes-vous passé d’un univers à l’autre ? Comment en êtes-vous venu à écrire de la littérature érotique ?
Tout bêtement, je m’inspire de ce que je vis, de ce que je vois et de ce que je fais. J’ai passé plusieurs années dans l’armée, ce qui m’a inspiré des histoires assez drôles sur cette institution. Lorsque je l’ai quittée, j’ai entrepris un master édition à Strasbourg et travaillé sur la littérature érotique française contemporaine pour mon mémoire. Au départ, j’avais écrit la première nouvelle pour l’y insérer. Pour passer de la théorie à la pratique. Ça aurait été une sorte de guide pour illustrer ce que je racontais dans mon mémoire universitaire.
Dans cette histoire, la figure sacrée de l’auteur, de son travail et l’importance qu’il y attache sont tournées en dérision. J’y associe un peu inspiration artistique et désir sexuel. Quand on perd l’un, est-ce qu’on peut conserver l’autre ? C’est peut-être pas mal de retrouver les deux [rire]. C’était mon idée de départ. Mais comme je n’arrive pas à travailler sur plusieurs choses en même temps, j’ai passé six à neuf mois à ne lire que de la littérature érotique pour préparer mon mémoire et j’ai eu plein d’idées d’histoires. Ces trois-là ont abouti, dans l’ordre du recueil.
Ces nouvelles sont drôles, burlesques, voire même assez loufoques. Pourquoi avoir fait le choix de ce style particulier d’écriture érotique ?
Je pense que cela correspond au ton que j’ai spontanément. C’est ma pente naturelle, ma petite touche personnelle, le burlesque, le comique, etc. Mais je pense aussi que le genre se prête bien aux jeux de mots et aux situations un peu exagérées. Nos rapports sexuels et les scènes de sexe en général ont parfois un aspect comique. On est toujours un petit peu à cheval entre quelque chose de très intense, profond, et quelque chose de ridicule, et c’est un double aspect que j’aimais bien.
On a presque la sensation en lisant le livre qu’il y a une forme de moquerie amusée de la société hypersexualisée qui est la nôtre…
C’est vrai. Il y a un aspect critique social dans les thèmes développés dans les nouvelles. Et sans doute un regard critique sur l’hypersexualisation. Mais à ce niveau-là, il s’agissait aussi de jouer avec les codes du genre. La littérature érotique montre une sexualité hors-norme, exceptionnelle, exacerbée dans tous les sens du terme. C’est pour ça qu’on retrouve ce côté conte de fées irréaliste et outrancier. Si on se contente de raconter l’histoire de papa et maman le dimanche matin, ça n’intéressera personne…
Quelles ont été vos inspirations pour écrire ces nouvelles ?
Elles ont été très variées. Avant de commencer à travailler sur la littérature érotique pour mon master édition, il y a deux ans, je n’en avais jamais lu à part un peu de Guillaume Apollinaire, de Pierre Louÿs ou de Catherine Millet. Des ouvrages qui m’étaient tombés sous la main sans que je me dise particulièrement que c’était de la littérature érotique. Quand j’ai commencé les recherches pour mon mémoire, je me suis mis à en lire en ricanant un peu, en me disant que ce ne serait sans doute pas de la grande littérature. Or j’ai découvert des choses très bien écrites et très profondes parfois. A ce niveau-là ça a été une vraie découverte.
Parmi les inspirations, je citerais Esparbec, auteur pornographique décédé l’an dernier et sans doute le plus prolifique de ces quarante dernières années en France. Également Françoise Rey pour l’aspect plus littéraire, et quelques jeunes autrices comme Valentine Abé et Octavie Delvaux pour ce qui est du format de la nouvelle érotique. Pour ce qui est de la troisième histoire, c’est un mélange d’inspirations cinématographiques comme Rambo ou les films de Tarantino, et Dirty Sexy Valley, un bouquin récent d’Olivier Bruneau qui a très bien marché. En toile de fond il y a un petit aspect roman porno de gare des années 80, pour le côté « à fond ».
Parlons de cette dernière nouvelle justement. On suit la course contre la montre d’un militaire tout juste revenu de mission au Sahel pour découvrir que sa copine a été enlevée par des terroristes décidés à la tuer dans un attentat au godemichet piégé aux explosifs. Un pitch loufoque qui se moque un peu de la figure du guerrier et interroge la notion de virilité…
En effet. Cela me permet aussi d’aborder quelque chose qui m’a toujours intrigué et que j’ai beaucoup documenté pour cette histoire : le discours viriliste que l’on retrouve dans la bouche des terroristes, qu’ils soient islamistes ou autres. Ils évoquent énormément le contrôle de la sexualité et des femmes, jouent sur les codes de la virilité, de la toute-puissance. Ça m’intéressait de pousser cette logique jusqu’au bout et c’est ce qui m’a donné l’idée de cette histoire. On retrouve également une femme dans cette nouvelle qui tient un discours très pro-terroriste pour dire que ces derniers sont des mâles, des vrais. Pour ce personnage, on vit dans une société où les hommes ne savent plus se battre ou aller mourir à la guerre. Une société de femmelettes en gros. Ce sont malheureusement des discours qui existent, que j’ai retrouvés dans des articles de presse ou scientifiques.
Quand on pense littérature érotique aujourd’hui, on pense spontanément à certains grands succès de librairie comme Cinquante nuances de Grey, Histoire d’O ou La Femme de papier de Françoise Rey. Premier jet est très différent. Quels sont les retours que vous avez eus pour l’instant ?
Comme le livre vient tout juste de paraître, les retours sont surtout ceux du premier cercle – amis, famille… Ils sont assez surpris, ce qui est plutôt intéressant parce que mon envie, c’était que l’on referme le livre sans avoir l’impression d’avoir déjà lu ça mille fois ailleurs. Je crois que les gens ont beaucoup ri dans l’ensemble. Il y en a quelques-uns qui se sont sentis excités par ces trois histoires à des degrés divers et d’autres qui se sont pincé le nez en lisant certains passages, mais sans être choqués de façon outrancière. Je pense que l’humour désamorce, non la sexualité, mais parfois la vulgarité ou le malaise que l’on peut ressentir en lisant certaines scènes. Il y a quelques passages qui sont un petit peu violents, un petit peu brusques, et si on les lit au premier degré on peut se dire que les personnages sont malmenés. Mais je n’avais pas envie de choquer pour choquer, et je pense que cela se sent.
Est-ce que vous êtes content du livre, vous ?
Oui, mais c’est un travail d’équipe. L’acte d’écriture, c’est quand même quelque chose d’assez solitaire. Un plaisir solitaire oui [rire]. Mais faire un bouquin, c’est quelque chose qui se construit à plusieurs : ce n’est pas juste un gars qui écrit un texte. J’aime bien la couverture parce que c’est le travail d’une illustratrice de Mulhouse et qu’elle a su trouver le bon ton pour son dessin. Quelque chose de marrant, dans l’esprit du recueil. C’est grâce à elle et à la graphiste que c’est un livre sympa, un bouquin de cul que l’on peut mettre sur la table d’un libraire sans que ce soit trop choquant, mais qui annonce quand même un petit peu le sujet.
Pourquoi avoir fait le choix de Médiapop, un éditeur mulhousien ?
Cela fait longtemps que je le connais. Je travaille aussi pour lui en corrigeant des livres. C’est également chez lui que j’ai publié L’école de rame. L’idée de ce recueil lui plaisait et le faisait sourire. Mais ce choix tient aussi au fait qu’il y a très peu d’éditeurs qui publient de la littérature érotique aujourd’hui. Vous parliez tout à l’heure de Cinquante nuances de Grey, un grand succès de librairie, mais ce n’est pas tout à fait de la littérature érotique. Cela reste de la romance avec un peu plus de scènes de sexe. C’est l’histoire d’amour – très stéréotypée d’ailleurs – qui prime dans le récit. Dans la littérature érotique, le sexe est vraiment au centre de tout. Les libraires vendent peu de livres érotiques. Lorsqu’ils ont un rayon dédié, celui-ci est généralement bien caché, peu fourni. Les livres sont rarement mis en avant, à part certains titres, et les auteurs sont peut invités à des rencontres. Cela reste un genre confidentiel.
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Premier jet, de Nicolas Decoud. Aux éditions Mediapop, 12 euros.
Note de l’autrice : Vous avez déjà acheté un livre érotique? Moi oui, mais assez rarement. La faute, peut-être, au sourire goguenard du bouquiniste qui m’a vendu le dernier, ou aux regards insistants des autres clients de la librairie à la caisse. A force, il faut croire que j’ai fini par prendre le pli car j’ai ouvert Premier jet avec une curiosité un peu gênée, assise à la terrasse d’un café. Avant d’oublier où j’étais pour le lire d’une traite. En riant, souvent. Nicolas Decoud utilise ici les codes du genre avec intelligence, sans les prendre trop au sérieux. Résultat: trois nouvelles comiques et originales, profondément humaines sous leurs dehors loufoques. Que le lecteur soit prévenu: il sera question de sexe, oui, mais pas uniquement. La cupidité, la violence, le dégout et le ridicule font parfois irruption au fil des pages. Reste que ces trois histoires renouvellent l’envie de se frotter à cette littérature par trop méconnue. En définitive? Un ouvrage à glisser dans son sac de plage cet été!