Sans le savoir, vous les connaissez très bien alors que vous ne les avez jamais vu. Avec eux, vous partagez vos temps libres, vos moments de chill et beaucoup de vos soirées. Contrairement à leurs noms qui ne vous disent rien, leurs voix sont facilement identifiables. Rencontre avec ces Alsaciens qui doublent les stars du petit et grand écran.
Stéphane Ronchewski, le doublage par le regard
Personne n’est propriétaire d’un acteur
Les premières minutes au téléphone sont assez perturbantes. Aussi agréables que déstabilisantes. Il suffit de fermer les yeux et d’écouter sa voix raconter son parcours pour se croire dans le sud de l’Angleterre. Plus précisément au pied des falaises d’une cité balnéaire, à résoudre l’assassinat d’un jeune garçon, comme dans la fiction anglaise Broadchurch. Car le Strasbourgeois d’origine, Stéphane Ronchewski, est tout simplement la voix française, la plus régulière, de l’acteur principal David Tennant. « La première fois que je l’ai doublé, c’était dans Harry Potter et la Coupe de Feu (sorti en 2005, NDLR) », rappelle le comédien. Mais doubler un acteur une fois, ne signifie pas le faire toute sa vie. Aucun comédien de doublage n’est propriétaire d’un ou plusieurs artistes. Il faut très souvent repasser par la case casting. « Quand David Tennant a tourné dans Broadchurch, j’ai dû à nouveau passer des essais. Même chose pour deux séries sorties récemment, l’une sur Netflix et l’autre sur Amazon Prime. Mais au final, j’ai à chaque fois été choisi », dit-il en rigolant.
« Ma voix est devenue très célèbre »
Si Stéphane Ronchewski incarne très régulièrement l’artiste britannique, c’est un autre acteur qui a fait décoller sa carrière. Goran Višnjić, plus connu sous le nom de Dr Luka Kovac dans la fiction médicale des années 90, Urgences. « Avec cette série, ma voix est devenue très célèbre. Du jour au lendemain, j’avais des dizaines de coups de téléphone de mes copains alors qu’ils ne venaient même pas me voir au théâtre », se souvient-il. Avant de percer à l’écran, Stéphane débute d’abord comme animateur à l’antenne de Radio Bienvenue à Strasbourg. À 18 ans, il s’exile à Paris pour étudier le théâtre. Sa formation achevée, il part, CV sous le bras, arpenter les studios parisiens : « Mon premier doublage, c’était pour des documentaires sur le Venezuela. Et puis petit à petit, on m’a sollicité de manière plus régulière. Un jour, on m’a appelé pour doubler le rôle principal d’une série avec des avocats (The Practice : Donnell et Associés, NDLR). Ça me rappelait la radio, je trouvais ça formidable. »
« Ce n’est pas un numéro d’imitateur »
Depuis ce jour, Stéphane enchaîne les doublages pour des films, des publicités, des documentaires et des pièces de théâtre. « Pour être doubleur, il faut d’abord être comédien et donc avoir une formation d’acteur. Il ne suffit pas de lire un texte à voix haute. C’est un exercice qui demande vraiment de jouer la comédie, comme on pourrait le faire au cinéma ou au théâtre. Avec des émotions, des ruptures dans la voix », détaille l’Alsacien. Avoir un beau timbre ne suffit pas. Il faut savoir restituer le travail de l’acteur étranger et le transposer en français. Et pas question de copier la voix de l’artiste originel. « Ce n’est pas un numéro d’imitateur. Selon moi, pour un doublage réussi, il faut regarder les yeux de l’acteur et essayer, dans l’intensité de sa voix, de donner l’illusion que ça sort de lui, de ses yeux »précise Stéphane Ronchewski.
Dédicace par téléphone
Le doublage dont Stéphane est le plus fier, c’est celui de Damon Wayans. L’acteur américain incarne notamment Michael Richard Kyle, le patriarche de la série Ma Famille d’abord. « Je me suis régalé à le faire. Je trouve qu’il est drôle, inventif et sincère dans sa manière de jouer, raconte l’interprète. Il change souvent de registre, il fait tellement de blagues que c’est très dur de le doubler. Mais paradoxalement, c’était génial. » Cette période, tant appréciée par Stéphane, le suit encore aujourd’hui : « C’est arrivé que l’on me reconnaisse à partir de la voix de Michael Kyle, à la boulangerie par exemple. C’est très amusant. » Mais cette célébrité, liée à ce personnage, va encore plus loin. Cinq à six fois par mois, il reçoit des demandes de dédicace à faire par téléphone, en prenant la voix de Michael Kyle. « Je m’aperçois que c’est une série qui a beaucoup compté pour certaines personnes, souligne Stéphane Ronchewski. Elle les a beaucoup fait marrer et elle fait partie de leurs vies. »
Coco Noël, le plaisir d’être cachée
Après quelques échanges sympathiques, Coco Noël (de son nom d’artiste), femme pétillante au rire communicatif, donne le ton. « Je me considère comme une comédienne de doublage et non comme doubleuse. Si on n’est pas comédienne, on ne peut pas faire ce métier », tient-elle, d’emblée, à préciser. Une justesse dans les mots, qui ne se retrouve pas forcément dans son parcours plus tortueux. Née à Strasbourg, elle commence des études de lettres, puis intègre une faculté d’espagnol, qu’elle quitte très rapidement. « En attendant de trouver autre chose, j’ai fait des petits boulots, notamment des extras dans une ferme auberge. Au final, je suis restée là-bas quatre ans et je n’ai jamais repris mes études », se remémore la comédienne. En parallèle de ce travail, elle prend des cours de chant et de solfège. Un jour, poussée par l’envie de faire comme l’une de ses idoles, Barbra Streisand, Coco Noël décide de partir à Paris tenter sa chance dans la musique. « Je ne suis pas du tout issue d’une famille d’artistes. Donc ce n’était pas facile, je ne connaissais personne », explique-t-elle. Finalement, de rencontres en rencontres, elle parvient à monter sur les planches et à se retrouver dans un studio d’enregistrement à faire du doublage. « J’ai tout simplement trouvé ma voie, affirme-t-elle joliment, sans vouloir faire de jeu de mots. Et ce qui est génial, c’est que dans le doublage, on peut aussi chanter. »
« J’ai trouvé mon bonheur en étant dans l’ombre »
Si dans sa jeunesse Coco Noël rêvait de gloire et de notoriété, s’imaginant en star de la chanson, elle est aujourd’hui pleinement satisfaite d’être moins exposée grâce au doublage. « Ça ne me dérange pas du tout d’être cachée, signale celle qui double des personnages depuis 1995. En plus, j’ai souvent le trac. Je cherche juste à être heureuse et j’ai trouvé mon bonheur en étant dans l’ombre. » La comédienne de doublage réalise très régulièrement la voix française de l’actrice américaine Margo Martindale, notamment dans les séries The Good Wife et The Americans. « C’est une femme géniale, j’adorerais la rencontrer », déclare Coco Noël, tout sourire. Outre les artistes étrangères, la Strasbourgeoise tourne également dans beaucoup de dessins animés.
On la retrouve par exemple dans le dernier film de Disney, Soul. Dedans, elle interprète Lulu, une couturière qui travaille dans la boutique de la maman de Joe Gardner, le personnage principal. Avec les dessins animés, la comédienne fabrique un univers à chaque personnage qu’elle incarne : « On crée tout de A à Z. On peut vraiment produire quelque chose de sympathique, d’unique. On s’amuse, on a une vraie liberté supplémentaire. » Coco Noël module tellement sa voix, qui lui arrive de faire plusieurs personnages dans la même création. C’est notamment le cas dans Laban : le petit fantôme. « Dans ce dessin animé, je fais les voix de tout le monde », dévoile l’artiste. « J’ai la voix très grave. Encore plus grave que mon mari ! » indique-t-elle en éclatant de rire. D’ailleurs, à part sa famille et quelques amis, personne ne la reconnaît quand elle double : « Ma voix parlée de tous les jours, je l’utilise très peu en travaillant. » Il arrive même à Coco Noël de ne pas faire une voix identique à une actrice qu’elle double dans plusieurs fictions différentes. « Je m’adapte toujours à ce que je vois. Je me positionne également comme le protagoniste. C’est aussi comme ça que je trouve les voix des personnages de dessins animés », conclut la comédienne
D’autres Alsaciens qui donnent de la voix
Son visage ou encore son nom ne vous disent sûrement rien, mais vous connaissiez à coup sûr sa voix. En plus de 35 ans de métier, la Strasbourgeoise Odile Schmitt, décédée en mars 2020 des suites d’une longue maladie, a doublé plus d’une dizaine de personnages de fictions. C’est avec une série sortie en 1982, Les Mystérieuses Cités d’or, devenue culte par la suite, que sa carrière a décollé. Elle prêtait sa voix à Tao, le jeune garçon amérindien, qui accompagne Esteban et Zia partout dans leurs aventures. « Je n’avais jamais vraiment fait de doublage. Quand j’ai rencontré Jacques Barclay (le directeur artistique), la veille des essais, il m’a demandé si je savais faire les petits garçons. Un peu décontenancée, pas sûre d’avoir bien compris la question et son enjeu, je réponds “Bien sûr” ! Sortie de l’entretien, j’ai couru à la Fnac acheter le disque des Misérables et toute la nuit je me suis entrainée à imiter la voix de Gavroche ! », révélait-elle en janvier 2014 dans une interview au site RS Doublage.
À l’aube des années 2000, la vie d’Odile Schmitt va prendre un nouveau tournant. Elle est choisie pour doubler une jeune Américaine qui a décroché un rôle dans le feuilleton ultra populaire outre-Atlantique, Les Feux de l’amour. L’actrice en question n’est autre que Eva Longoria. Et l’histoire d’amour entre les deux femmes va perdurer pendant près de 20 ans. Au menu, onze films, des dizaines de spots publicitaires et des séries dont la consécration avec le doublage de Gabrielle Solis dans la célébrissime fiction Desperate Housewives. Lors d’un reportage diffusé sur France 3, Odile Schmitt a expliqué comment elle incarnait la voix française de ce fameux personnage : « Je m’imagine dans un petit tailleur, sur des talons très hauts, en train de marcher cul serré. »
Comme Odile Schmitt, d’autres comédiens originaires d’Alsace doublent des stars de cinéma ou de télévision. Parmi eux, Loïc Guingand qui interprète notamment des voix françaises dans les séries Grey’s Anatomy, Scandal et Person of Interest. Lors d’un entretien pour RS Doublage, il est revenu sur l’un de ses rôles : « Je me souviens qu’un de mes premiers grands doublages, et ce n’est pas banal, c’était pour doubler Adolf Hitler, lorsqu’il était étudiant aux Beaux-Arts de Vienne, dans le film “Mein Kampf” […]. Un doublage très fort en émotion et en énergie, j’y ai laissé 2/3 kilos tant c’était intense. » Enfin, vous avez tous déjà entendu au moins une fois, si ce n’est plus, la voix de Denis Laustriat. Depuis environ 20 ans, il double l’acteur britannique Orlando Bloom. C’est donc l’accent de celui qui a fait une formation théâtrale à Strasbourg que vous découvrez lorsque vous regardez la trilogie Seigneur des Anneaux ou Pirates des Caraïbes en version française. Vous n’écouterez plus jamais parler l’elfe Legolas ou encore William Turner, le forgeron devenu pirate, de la même manière.
Romain Chevalier