L’imaginaire Alsacien est l’un des plus riches de France. En ces temps de confinement, quoi de mieux pour alimenter son imagination que de jolis mythes qui font partie intégrante de l’histoire de notre région ? Récits fantastiques, épopées, malédictions, elfes, druides ou sorciers : les légendes se plaisent à mêler le merveilleux à la réalité. Pour ce premier opus, laisse moi te conter ce que me racontait mon père à propos du château du Nideck et des géants qui y vivaient.
Vestige du Moyen-Age, le château du Nideck se situe au nord-ouest d’Oberhaslach, sur une crête de grès, à plus de 500 m d’altitude. Il s’agit en réalité de deux entités distinctes : le château supérieur domine d’une quinzaine de mètres le château inférieur. D’ici, la vue splendide porte sur la forêt, la vallée de la Bruche, le château du Guirbaden et les hauteurs du Champ du Feu. Au sud de ces vestiges, un sentier bucolique mène à la cascade du Nideck qui se jette du haut d’une falaise de roche volcanique, à 25 m de hauteur. L’endroit boisé empreint d’une ambiance féerique semble tout adapté à la légende qui y est racontée :
Il y a fort, fort longtemps, les géants furent les premiers habitants de l’Alsace, élevant de leurs mains immenses la barrière montagneuse des Vosges pour y laisser de la place aux Hommes avec lesquels ils vivaient en harmonie. Un couple de géants et leur petite fille demeuraient alors dans le château du Nideck. Un jour, l’enfant poussée par l’ennui, descendit la colline, traversant forêts et bois à grandes enjambées jusqu’à pénétrer en terre d’hommes. Innocente et candide, les villages, clochers et champs ensemencés lui apparurent comme un monde miniature étonnant. Apercevant à ses pieds un paysan labourant son champs, l’attelage lui paru bien étrange. “Tiens, quel beau jouet”, s’exclama-t-elle. “Je vais l’emmener chez moi”. Prestement, elle s’agenouilla et étendit son tablier, balayant d’un geste tout ce qui remuait en l’enfermant dans sa draperie. Par bonds joyeux elle retourna vers le château hélant son père “Oh père… cher père, j’ai trouvé dans la vallée un jouet merveilleux, je n’en ai jamais vu de tels sur nos sommets.” Le père attablé, buvant son vin bien frais observa la fillette et lui demanda “Qu’apportes-tu de si frétillant dans ton tablier ? Fais-moi voir cette trouvaille”. Dépliant son tablier, l’enfant joyeuse étala avec précaution le paysan ainsi que la charrue et son attelage. Mais le père prenant son air le plus sérieux lui dit : “Qu’as-tu fais là ! ce n’est pas un jouet. Ramène-le où tu l’as pris de suite et sans réplique, fais ce que je t’ordonne, car sans le paysan tu n’aurais pas de pain. De leur labeur, les géants grandissent sous les cieux.”
Ce récit fut d’abord oral. La femme de lettre Charlotte Engelhardt-Schweighaeuser (1781-1864) l’entendit d’un garde forestier, elle en fit un poème en alsacien. En 1816, la légende du Nideck paraissait dans un ouvrage des célèbres frères Grimm. Le texte inspira ensuite le poète Adelbert von Chamisso qui composa « Das Riesenspielzeug – la fille du géant».
De ce château où jadis demeuraient les géants, il ne reste aujourd’hui que des ruines et ce conte d’antan. Aussi depuis 2004, des œuvres en grès, taillées par 8 artistes internationaux, sur le thème de la légende des géants du Nideck ont été installées en forêt. C’est le premier sentier international de la sculpture contemporaine en Alsace. En attendant de pouvoir à nouveau le sillonner, laissons les géants un peu en paix.
© Photo de couverture : Château du Nideck / CP-FZvardon-ADT