On ne pensait pas. On ne pensait que la maladie passerait les frontières de l’Europe, puis de la France. On ne pensait pas être enfermés, séparés les uns des autres. On ne pensait pas que ça irait si vite, puis prendrait autant de temps. Mais voilà, quatre semaines que ça dure et quatre semaines qu’il va falloir encore endurer. Peut-être plus. Ceux qui sont à l’intérieur voudraient être dehors, oubliant que ceux qui y sont en ont peur. Nos domiciles sont, pour beaucoup, devenus refuges. Une fois la porte fermée, les mains lavées et les masques tombés, il n’y a plus ni inquiétude, ni suspicion. Il n’y a plus le risque, il n’y a plus les autres.
Au fil des jours le refuge se fait pourtant prison. Parfois trop étroit, trop sombre, trop silencieux ou trop bruyant, on en a fait le tour, visité chaque recoin. Il y a ceux qui en ont pris soin, nettoyé, bricolé pour s’occuper les mains et l’esprit. Ceux qui se sont laissés dépasser, puisqu’ils n’auraient que ça à faire demain, et les jours qui suivent.
Puis la routine a repris. Différente certes, sans verre en terrasse le vendredi soir, sans sortie dans le parc après l’école et sans école non plus d’ailleurs. Sans shopping dans les ruelles le samedi, sans brunch en ville le dimanche. La moindre des activités se concentre désormais entre quatre murs, plus ou moins espacés les uns des autres.
On regarde de la fenêtre ceux dont le travail ne peut cesser. À la fois secrètement envieux de les voir s’activer à l’extérieur et égoïstement rassurés de ne pas être à leur place. Nous, dont les maisons, les appartements, les studios sont devenus sans distinction lieu de travail, de repos, salle de sport, bistro virtuel, institut de beauté, cinéma, salle de classe. L’intime et le public mêlés dans un même endroit. Chaque réveil, chaque repas, chaque coup de téléphone et chaque mail envoyé, chaque tracas et chaque petit plaisir sous ce même toit. Un concentré de quotidien, amputé, amoché, mais quotidien quand même, dans quelques mètres carrés.
L’esprit s’accommode, avec plus ou moins de facilité. Les choses qui importent ne sont plus les mêmes. Le maquillage à l’image des apparences, du paraître, reste au fond des tiroirs. Car le domicile nous coupe du reste du monde et de son regard. Ne reste alors que l’essentiel, ces toutes petites choses qu’on ne distinguait plus. Ces objets qui nous servent et nous entourent tous les jours et qu’on ne voit plus : une paire de lunettes, une tasse à café, des coussins entassés sur le canapé. Ces instants futiles, tel un rayon de soleil donnant vie à un tableau d’ombres sur le mur quelques secondes, avant de repartir. Ces envies, de lire, d’apprendre, de se mettre à la cuisine, d’appeler ses proches, de prendre des photos.
Les choses simples, devenues invisibles et qui s’évanouiront de nouveau quand l’heure de sortir sonnera et la sollicitation de nos esprits reprendra de plus belle.
Alors pour s’en rappeler, pour ne pas oublier ces instants du quotidien qu’à nouveau, bientôt, on ne saura plus voir, quoi de mieux que de les immortaliser.
Découvrir le projet trois_photos_par_jour
MATHILDE PIAUD
Super article !!