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La première création française de l’opéra « Le Pavillon d’Or » se passe à Strasbourg

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Salutations chers lecteurs intrépides qui venez ici entre deux scans de Dragon Ball Super. Saviez-vous que la France est le deuxième plus gros pays consommateur de mangas au monde, après le Japon lui-même ? Ces deux pays éprouvent une fascination et un respect mutuel pour leurs cultures respectives, ce qui se traduit par l’intégration d’éléments culturels de part et d’autre. Mais bien que notre passion pour les petits albums orientaux remonte déjà aux années 70, c’est plus d’un siècle auparavant que la relation nippo-française prend sa source. Et plus particulièrement en Alsace, qui l’eut cru ?

Oui, vous ne rêvez pas heureux strasbourgeois, vous vous tenez présentement sur la terre qui a vu, par le commerce du textile, naître les premiers liens forts de l’hexagone avec le pays du soleil couchant (et pardonnez cette expression occido-centrique). Nous avons même la chance d’accueillir le Centre Européen d’Études Japonaises (près de Colmar) et le Consulat Général du Japon (à Strasbourg), c’est dire !

Il semblait alors bien naturel que si un large festival artistique ayant pour vocation de mettre à l’honneur un pays chaque année devait s’ouvrir dans notre belle ville, le Japon soit la première contrée à en recevoir les honneurs. Et ça tombe plutôt bien : c’est exactement ce qui s’est passé.

Vous, follement enthousiaste à cette lecture

Projections de films japonais, ateliers d’origamis, cosplay sur la scène de l’opéra, c’est Arsmondo, un déferlement d’évènements divers, sous l’orchestration de l’ONR et l’impulsion de sa directrice Eva Kleinitz. Et en sus des concerts et autres cycles de conférences, il semble logique qu’un festival organisé par l’Opéra donne aussi lieu à… mais oui, un opéra (c’est bien, vous suivez).

C’est donc Le Pavillon d’or qui a été choisi, pour sa toute première création en France (la première mondiale date de 1976 et fut allemande). Une bonne occasion de découvrir, dans le même temps, un des plus grands compositeurs du XXe siècle, un roman majeur d’un auteur qui ne l’est pas moins, et un metteur en scène d’exception.

Du lourd, du très très lourd ©Klara Beck

Ça fait beaucoup d’un coup mais c’est très digeste, rassurez-vous. Et puisque Pokaa vous aime vraiment, nous vous avons même fait gagner des billets pour aller tranquillement placer vos délicats fessiers dans les moelleux fauteuils de l’Opéra, histoire que vous constatiez vous-même la qualité du spectacle.

De quoi donc ça parle ?

Cet opéra est tiré du roman éponyme de l’immense Yujio Mishima, un habitué des sujets tabous pour la société japonaise (tels que les handicaps ou l’homosexualité, voire Confession d’un masque). Le compositeur Toshiro Mayuzumi a longuement travaillé avec Klaus H. Henneberg pour concocter un livret (c’est à dire le texte de l’opéra) satisfaisant. C’est d’ailleurs assez courant que les compositeurs s’inspirent d’œuvres littéraires préexistantes pour créer leurs opéras. Mais dans ce cas précis, et considérant la longue amitié qui a uni Mayuzumi à Mishima, il faut aussi y voir un ultime hommage.

Mon enfant, laisse-moi te raconter une histoire merveilleuse

Alors pour rester dans le ton des relations franco-japonaises, sachez que Mishima était un grand lecteur de nos classiques, notamment de Sade. Il se suicida par seppuku en 1970 après avoir pris en otage de chef de l’armée japonaise et donné un discours sur l’importance du Japon traditionnel, un suicide prévu de longue date. De très longue date même, puisqu’il avait réalisé, 5 ans auparavant, Yūkoku ou les Rites d’amour et de mort (tiré d’une de ses nouvelles), un film muet en noir et blanc où un lieutenant japonais se suicide après l’échec de son coup d’état. Mishima jouait le rôle du lieutenant, préparant donc sur les écrans sa mort bien réelle.

Tout de suite, ça vous pose le personnage. C’est d’ailleurs dans cette aura singulière que le metteur en scène Amon Miytamoto entra en contact avec Mishima pour la première fois. Il raconte que, pendant un cours, au collège, à Tokyo, le professeur dut s’interrompre à cause du bruit des hélicoptères déployés à l’intention du romancier. Suite à cela — et malgré l’interdiction de ses parents de lire cet homme légèrement excentrique — il s’est plongé dans son œuvre durant son lycée, et en fut durablement marqué.

Votre état mental actuellement ©Klara Beck

Bon c’est bien joli, mais on veut du concret nous

Du concret ? Pas de problème jeune filou. Alors pour commencer, sache que Le Pavillon d’or est un roman qui a eu un immense succès au Japon et ailleurs. Cela est notamment dû au fait que le sujet du roman est un événement réel qui a beaucoup marqué le Japon en 1950. Le Kinkaku-ji est un temple bouddhique situé à Kyoto (région ô combien traditionnelle) et recouvert de feuilles d’or, ce qui lui donne un aspect quelque peu chatoyant. Malgré son inscription au patrimoine de l’Unesco et la présence de reliques en son sein, il fut retiré de la liste des trésors nationaux du Japon. Mais que s’est-il donc passé, me demandez-vous, affolés par ce flux d’informations décrivant des cercles autour du sujet principal sans pour autant encore le dévoiler ?

Le “Pavillon dOr” aujourd’hui – Photo de Coraline Lafon

Ce temple, qui avait traversé plus de cinq siècles de guerres et de conflits sans tomber, fut incendié en juillet 1950 par un jeune moine, et brûla intégralement. Le Pavillon actuel est une reproduction fait en 1955. Vous vous doutez bien que la perte d’un tel monument a pu choquer considérablement le pays à l’époque.

Bon, on va dire que c’était plutôt une belle flambée

Mishima écrivit donc l’histoire de l’incendiaire. Mizoguchi, jeune homme bègue et passablement laid, est élevé par un père absolument fasciné par le Pavillon d’or, et qui ne cesse de lui en vanter la grandeur, dénigrant toute beauté en la surclassant par celle du temple (un peu comme ces potes relous qui vous rappellent sans cesse que leur série préférée est quand même vachement mieux que celle que vous êtes en train de regarder).

Le feu réglera tous tes problèmes, jeune sith

Alors évidemment, le petit Mizoguchi finit par faire du Pavillon son idéal absolu de la beauté fantasmée. Cela le touche d’autant plus du fait de sa laideur et de son handicap (manchot de naissance dans l’opéra d’ailleurs, car un bègue au chant lyrique posait quelques soucis techniques). Et comme de bien entendu, alors qu’il accompagne son père mourant et qu’il voit pour la première fois de ses yeux le fameux Pavillon d’or, il est déçu. Il ne ressent pas cette beauté absolue qu’il avait tant fantasmée. Il se demande donc s’il n’est pas incapable de ressentir la beauté, ce qui aggrave son trouble.

C’est là que la France peut apporter une réponse. Rousseau vous le dira :

« Malheur à qui n’a plus rien à désirer ! » (dans La Nouvelle Héloïse). Pour résumer, il vaudrait mieux se contenter du fantasme, car celui-ci peut toujours être modifié pour s’accorder à nos désirs changeants. Mais si l’on obtient l’objet de notre désir, nous nous en lassons presque immédiatement. C’est pour ces mêmes raisons que vous pouvez être très critiques sur des films corrects mais que vous attendiez avec tellement d’attentes que toute œuvre en deçà de la perfection doit subir vos foudres (ne niez pas, je vous connais).

Tiré de l’article “Pourquoi un Star Wars tourné sur pellicule est une hérésie”. No Fake.

Toujours est-il qu’après bien des maux et pour se libérer (et parce que tout est éphémère) Mizoguchi incendie le temple séculaire. L’opéra se conclue sur ce grand flamboiement, tout comme le roman.

Bon, c’est une sacrée histoire, mais maintenant que tu me l’as spoilée comme un brigand, ai-je encore intérêt à aller voir l’opéra ?

D’abord, je vous défends de me parler sur ce ton. Ensuite, je ne spoile pas vraiment puisque l’opéra s’ouvre sur Mizoguchi s’apprêtant à craquer l’allumette. Tout le récit est construit par analepse (eh oui, un flashback en littérature c’est une analepse, et le flashforward prend le nom de prolapsus prolepse). Tout l’intérêt réside bien plus dans le chemin mental qui l’a conduit à cette décision plutôt que dans le faux suspense de brûlera, brûlera pas ? Car vous comprenez bien que sans l’incendie final, le récit perd tout son sens.

Ensuite, il s’agit d’un opéra, et il se trouve de nombreuses personnes pour dire que l’histoire importe peu en regard de la musique, même parmi les aficionados (mon Dieu, encore un mot caractéristique du journalisme professionnel, je m’inquiète). Alors, la dimension musicale de l’opéra est-elle digne de Mishima ?

Mais bien sûr, à quoi vous attendiez-vous donc ? Le compositeur est Toshiro Mayuzumi ! Oui, je sais, ce nom ne vous dit rien (sauf toi, le musicologue au fond de la salle) mais c’est tout bonnement l’un des compositeurs les plus importants du XXe siècle. Toujours à la première place de l’avant-garde japonaise, on ne compte plus ses innovations et expérimentations dans le domaine musical. Il est aussi un grand chercheur en électro-acoustique et compositeur pour plus d’une centaine de films. Il finit par devenir une figure importante de la droite radicale et révisionniste japonaise, mais ce n’est pas le sujet.

Regardez cette image : la musique est toute aussi grandiose ©Klara Beck

Bien que je ne sois pas musicien moi-même — ce dont je m’excuse platement auprès des dieux de l’opéra — j’ai pu apprécier dans cette œuvre un équilibre délicat entre des motifs très classiques et manifestement européens et des innovations surprenantes. Mishima et Mayuzumi se sont rencontrés pour la première fois à Paris en 1952. Ces deux hommes avaient un réel souci de conservation de l’esprit japonais, de tradition envers la grandeur d’un empire passé, et simultanément un attachement et une fascination certaine du côté occidental. C’est cette contradiction, cohabitation culturelle ardue, qui transparait à la fois dans le texte et dans la musique.

Il est possible de trouver, à mon avis, des éclaircissements dans Éloge de l’ombre de Jun’ichirō Tanizaki. Cet essai oppose l’esthétique japonaise — empreinte d’obscurité et de patine — à l’occidentale, attachée quant à elle à une propreté éclatante et une lumière omniprésente. Il analyse également comment la culture japonaise fut inévitablement altérée en assimilant des éléments venus d’occident. La mise en scène montrant des soldats américains (dans une scène assez violente) puis encore l’explosion atomique qui a traumatisé les années 50 renvoie à des préoccupations réelles de Mishima, qui deviennent celles de Mizoguchi. Et ce qui brûle finalement, c’est un symbole de la grandeur impériale passée du Japon que défendait Mishima, mais qu’il sait irrécupérable. Ce mélange étrange de formes et de corps contradictoires est sans doute lié à ce qui exerce la fascination mutuelle de nos deux pays, et donne au Pavillon d’or cette saveur qui n’a pas d’égal dans le répertoire lyrique.

Alors, qu’est ce que je vais voir sur scène moi ?

Amon Miyamoto est plutôt inconnu en France, j’en conviens. Mais il n’est pas exagéré de dire que c’est une star au Japon. Metteur en scène de Nô, de Bunraku, de music-hall et d’opéra, il signe avec ce spectacle sa première création dans notre beau pays. Il a d’ailleurs adapté Le Pavillon d’or en pièce de théâtre en 2011, lors de son arrivée au poste de directeur du Kanagawa Arts Theatre. Avec le chef d’Orchestre Paul Daniel, il a coupé et réarrangé l’opéra afin de le rendre intelligible pour tous, sans avoir besoin de connaître le roman d’origine.

Sa mise en scène se déploie dans un décor fascinant (de Boris Kudlicka), une large boite d’où sortent des tiroirs contenant des parois et des praticables, et où s’ouvrent des fenêtres. Les pans des murs sont balayés par la neige et la pluie dans des projections saisissantes, et laissent apparaitre le lointain Pavillon d’or, enveloppé de brume, inatteignable.

Des structures qui rentrent dans les murs, où l’art du rangement japonais ©Klara Beck

Les chœurs de l’ONR sont extrêmement présents sur la scène, car la partition fait souvent appel à eux, donnant au spectacle des airs de scène grecque antique où le malheureux protagoniste, emprisonné dans le carcan de la fatalité, est enveloppé par la voix du peuple. De même, ils peuvent évoquer une foule de yōkai observant Mizoguchi avec un intérêt perturbant. L’incendie final en lui-même est extrêmement beau, dévorant le grand mur d’or qui semble à la fois brûler et fondre, pour s’écrouler finalement en une feuille grise et consumée.

À mes yeux, le passage le plus saisissant de l’opéra reste ce moment où Kashiwagi, l’ami de Mizoguchi, lui apporte une flûte Shakuhachi. Ces deux silhouettes de dos, une de cuir rouge l’autre de tissu bleu, dans la pénombre face au temple nocturne, au seul son de la flûte est un moment bouleversant, qui rappelle la culture du Nô d’Amon Miyamoto. Le fait que l’orchestre se taise pour ces quelques moments renforce, par le contraste entre la richesse instrumentale précédente et cette simplicité soudaine, l’impact de la mélodie.

En noir, les chœurs de l’ONR, sollicités comme jamais par la mise en scène ©Klara Beck

Cet opéra est sans doute l’un des plus forts que j’ai pu voir jusqu’à présent, et aussi l’un des plus atypiques. La musique balance entre des motifs rassurants de classicisme et des surprises impromptues, les couleurs sont à la fois vives et chaudes et terriblement sombres dans des scènes où la solitude de Mizoguchi devient glaçante. Le dispositif de cette boite qui se déplie selon les besoins de la scénographie m’évoque toute l’esthétique que les japonais mettent dans l’art de l’emballage. Ce spectacle est un objet parfaitement ciselé, servi par des interprètes de qualité. Mais surtout, il constitue à mes yeux un beau point d’équilibre entre les deux cultures, là où elles se rejoignent pour s’enrichir mutuellement.

Bon, je pense que je vais peut-être y aller.

C’est le bon état d’esprit ! Et c’est donc les 24, 27 et 29 mars et le 3 avril à l’Opéra National du Rhin. Réservez vite, c’est un conseil, mais vous pouvez toujours tenter votre chance en caisse du soir, avant la représentation.

Et n’hésitez pas à vous rendre aux autres événements d’Arsmondo !

 

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